Jean-François Lévêque

FRA

LI

MONTI

Journal de bord du GR 20,

traversée pédestre de la Corse,

juillet 1999

 

jf.leveque@libertysurf.fr

 

"Ô Corse, île d'amour !"

(Monsieur Tino R., 1934)

 

 

Première partie : Nord

 

Jeudi 1er juillet

Chalon sur Saône - Nice - Calvi - Calenzana

Après le train surchauffé laissé à Nice, après la traversée foudroyante du Navire à Grande Vitesse, après la demi-heure nécessaire au taxi pour nous éloigner de la touristique Calvi, c'est la surprise, en arrivant dans Calenzana (prononcer Calen=tzane). Au fil des mois, le nom de ce village corse avait acquis dans mon esprit le prestige que me paraissait mériter le point de départ du sentier de grande randonnée le plus beau et le plus dur de France, et même d=Europe, dit-on.

J'ai étudié le topo-guide de la fédération française de randonnée, j'ai lu les articles d'AlpiRando et de Montagnes Magazine, j'ai recueilli les témoignages de ceux qui l'ont fait, ce fameux GR 20 que les Corses appellent Fra li Monti, c=est à dire le Transmontagne. C=est à Calenzana qu=ils ont passé leur dernière nuit avant d=affronter les sentiers de la traversée Nord-Sud de l=île par les montagnes, sentiers à leurs dires si magnifiques mais si rudes. Pendant ces longues semaines d=attente, le soir dans mon lit en m=endormant, et le jour au bureau pour me distraire, j=ai rêvé de Calenzana. J=y voyais une Mecque de la randonnée, comme Chamonix est une Mecque de l=alpinisme, avec ses touristes buveurs de bière et leurs marmots suceurs de glaces, ses marchands de souvenirs, ses boutiques pleines de grosses chaussures, sacs à dos, tentes, bâtons de marche, gourdes et autres matériels indispensables de toutes les formes et de toutes les couleurs.

Quelle surprise lorsque le taxi, encombré de nos cinq énormes sacs, nous débarque, peu avant la tombée du soir, dans les ruelles assoupies d=un village encore ensoleillé et quasi-désert. La seule concession visible au tourisme géhérien est un petit café, où quelques Corses palabrent sous l=enseigne. Celle-ci proclame que cet établissement de peu d'allure n'est autre que le "GR 20 BAR ". La Corse vient de nous accorder son premier miracle. A Calenzana comme en tant d'autres lieux célèbres de l=île de beauté, la renommée n'implique ni le grouillement des foules ni l'affairement avide des commerçants. Nous arrivons dans un village indifférent à notre aventure, dont les habitants terminent, tranquilles, une belle journée d=été.

Nos sacs déposés à l=auberge Monte Grosso, nous partons, Paul, sa femme Evelyne, mon vieux copain Jean-Luc et moi, flâner dans les ruelles pentues qui mènent à la belle église baroque. Sa façade, peinte de couleurs chaudes, contemple la baie de Calvi en recevant l=illumination du soleil, qui est déjà bas mais encore délicieusement tiède. Quelques notes de guitares se perdent jusqu=à nous. Plus bas, sur une esplanade ombragée où deux café-restaurants ont disposé leurs tables inoccupées, deux hommes jouent doucement, assis l=un en face de l=autre. Parfois, une voix venue d'un ne sait où vient s=embarquer dans la mélodie frêle des cordes. C=est le patron du café, qui, de l=autre côté de la rue, chante derrière son bar. Un beau soir bleu commence.

Nous nous installons à l=une des tables, et, sous les lampes, dînons de pâtes à la carbonara ou au brocciù (prononcer brotch), ce fin fromage de brebis corse. Tandis que l=obscurité enveloppe peu à peu notre îlot de lumière, le vin rouge coule dans les gosiers et la conversation s=anime. Très vite, la question fondamentale est posée : Où passe le vrai GR 20 ? Maurice, qui est venu en avion et vient seulement de nous rejoindre, montera demain avec moi au refuge de l=Ortu di u Piobbu (le jardin du peuplier, prononcer ortou di ou piobe). Puis, après demain, nous suivrons les crêtes jusqu=à plonger sur le refuge de Carruzzu (Caroutz). Jean-Luc, lui, a décidé de suivre une variante (ce n=est effectivement, selon le topo, qu=une variante, distincte de l=itinéraire principal, et qui emprunte le tracé du sentier Mare a monti, nettement moins prestigieux que le Fra li Monti, c=est à dire le GR 20). Il va emmener Paul et Evelyne , par un calme sentier de forêt, à l=auberge de Bonifatu (Bonifat=) où ils doivent ripailler et dormir douillettement avant de monter, le lendemain, nous rejoindre à Carruzzu en deux petites heures et demie.

L=enjeu est de taille et le débat s=enflamme. Il ne s=agit pas moins que de savoir qui fera véritablement le GR 20, par opposition à ceux qui, se livrant dès les premiers jours aux charmes paresseux d=une plate variante forestière, ne pourront jamais, quelques puissent être leurs mérites sur le reste du parcours, dire la tête haute et sans mentir, qu=il ont Afait le GR 20". Chacun se bat et croise ferme le fer. Maurice et moi garantissons l=authenticité de notre tracé, topo guide officiel à l=appui, et confirmés aussi bien par la tenancière de l=hôtel que par le chauffeur du taxi. Mais ce même chauffeur, soucieux de diplomatie, avait aussi prétendu qu=autrefois, aux premiers temps du GR, à l=ère antédiluvienne de son créateur Michel Fabrikant, le vrai départ était à Bonifatu et nos trois compagnons ne démordent pas de cette antériorité et de l=authenticité qu=ils croient pouvoir en tirer. Mais je sens bien que Paul, homme de bon sens, est ébranlé. Je lui propose alors de suivre le panneau, demain à la bifurcation. S'il indique aussi bien la gauche que la droite, Paul ira par où bon lui semble. S=il n=y a qu=une direction, et si c=est celle d=Ortu di u Piobbu, et bien il suivra celle-là, et pas une autre. Paul semble près d=accepter. Mais il est très vite arrêté par les véhémentes protestations de Jean-Luc, qui sait très bien qu=à ce jeu là il perdra le lit confortable de l=auberge de Bonifatu, ce dont il n=a qu=un très maigre souci. Chacun reste donc sur ses positions, plus ou moins de bonne foi, et à la nuit tombée, nous regagnons ensemble le Monte Grosso. Demain, les choses sérieuses commencent.

 

Vendredi 2 juillet

Calenzana (275 m)

Ortu di u Piobbu (1570 m).

7 heures 30 - 14 heures 30.

Maurice et moi quittons l'hôtel les premiers, à sept heures et demi du matin. Nous sommes persuadés - et fiers, de partir tôt. Nous ne savons pas que dans quelques jours, nous regarderons ceux qui partent à la même heure avec la commisération du paysan matinal pour le citadin lève-tard. Quoi qu=il en soit, chargé de mes dix-huit kilos, j=emboîte le pas de Maurice qui entame, vaillant, l=ascension des rues du village. J=admire les vieilles demeures fleuries. Je retrouve l=église San Restitute et les scènes religieuses fraîchement peintes sur sa façade. Non loin de là, le local des Amis de la Rénovation de San Restitute paraît beaucoup plus dégradé que l=église elle-même. Nous nous inquiétons alors du local des Amis de la Rénovation du Local des Amis de la Rénovation de San Restitute, sans doute en ruine, mais notre rapide recherche ne nous permet pas de le découvrir.

Trois vieux, déjà assis sur leur banc, répondent à notre salut avec bienveillance. Nous croisons aussi deux chiens corses du type habituel, c=est à dire bâtards de tout poil, toute taille, toute couleur, n=ayant en commun qu=une grande mansuétude dans le regard et un goût immodéré pour la sieste perpétuelle. Il y a dans le regard du chien corse une leçon: dormir sans honte la journée entière, ne se réveiller que pour regarder passer la vie, sans rien faire mais avec beaucoup de tendresse, et pardonner tous les péchés du monde. Il suffit, pour s=imprégner de cette philosophie, de s=asseoir à une terrasse à proximité de l=animal, et d=attirer son attention par un discret claquement de langue. Le chien, après une courte période de latence, soulève lentement ses paupières et vous fixe de ses bons yeux dorés, avant de les refermer sans hâte et de se rendormir. Il vous a délivré son message: A Ce n=était peut-être pas nécessaire de me réveiller tu sais, je suis bien, tu es là, il y a de la place pour nous deux et nous avons le temps, alors maintenant je me rendors ...@ Aussi suis-je étonné de constater que ces deux- là, au petit matin, folâtrent avec une vivacité tout à fait insoupçonnable pour qui n=a observé les chiens corses qu=à d=autres heures de la journée.

Non moins vifs, nous quittons bientôt les prés pour attaquer, suivant le panneau de bois qui rejette à droite le Mare e monti et indique à gauche le GR 20 (que fera Paul?), une longue et belle montée ombragée.

Je suis très impressionné par les imposants pins laricio, aux troncs épais comme des armoires. Leurs abdomens massifs sont cerclés d=une écorce étonnante, rustique mosaïque de losanges roses, bruns et gris. Ces arbres monumentaux s=accrochent sur les pentes les plus raides et l=on en voit même s=enraciner en pleine falaise. Nous montons lentement. Plus haut quand la forêt s'épuise avant de disparaître, se dressent encore les squelettes colossaux de quelques vieux larici. Ossements soudés au roc, raidis au dessus de la vallée comme de géantes cages thoraciques, ils attendent avec noblesse leur anéantissement. Sur le sentier, chétives, deux outres de chair fragile, emplies de viscères vivantes et tendues de muscles chauds, s=élèvent pas à pas, vers le ciel. Lacets après lacets, nous apercevons, chaque fois plus loin, chaque fois plus bas, la somptueuse baie de Calvi, avec le port, et la tente blanche du festival de jazz, qui semble minuscule.

Tournant le dos aux foules balnéaires et aux plaisirs achetés, nous tâchons d'étudier la faune et la flore, malgré nos modestes compétences naturalistes.

Sous nos pas fusent sans cesse de souples lézards, gris ou verts, vifs, légers dans leur fuite (bien vouloir noter ici le pouvoir évocateur de l'allitération). Nous reconnaissons aisément ces subtils reptiles (même remarque).

Nous croisons aussi, à demi dissimulés dans les buissons, de grandes créatures efflanqués et cornues que nous parvenons à identifier comme des vaches corses. Considérations habituelles sur les bovidés de l=île, scandaleusement maigres, à demi-sauvages, dont on voit bien que le seul produit n=est ni la viande ni le lait, mais la subvention européenne.

Maurice m=épate en nommant sans hésitation les aubépines blanches et roses, les éllébores et les fougères aigle qui bordent le chemin. Il est plus circonspect sur les rases touffes de fleurs jaunes et les clochettes mauves, qui sont aussi à profusion. Je me borne à examiner ces plantes d=une mine entendue, parfaitement muet.

Le soleil grimpe dans le ciel et notre ascension se poursuit sur un bon sentier bien balisé, en pleine chaleur. Après un premier col, le ton change avec une traversée fortement ascendante entrecoupée de multiples escarpements rocheux. Il faut mettre les mains. Les sacs pèsent lourd sur les épaules. Le deuxième col est un magnifique ensellement de lande verdoyante. Y trône un arbre énorme, au tronc de baobab. Sa ramure est si large, si basse et si épaisse que nous frissonnons en nous désaltérant dans son ombre, silencieux devant nos gourdes presque vides.

Un peu défaits, nous arrivons à Ortu di u Piobbu à deux heures et demi de l=après-midi. Voilà sept heures que nous marchons, y compris une petite heure de repos sous le baobab. Le refuge, tout simple avec ses quatre murs de pierre, son toit à deux pans et sa terrasse de bois, est fait sur le modèle de la plupart des refuges du GR corse. On y trouve un dortoir avec matelas mais sans couvertures, une cuisinière à gaz dans la salle commune et un gardien sympathique. Il faut cependant signaler, sur une dalle rocheuse voisine, un grand canapé démodé, vide, qui contemple le panorama. Les douches et les WC sont dans une cahute à l=écart. Quant à l=eau potable, il faut aller la chercher 250 mètres plus loin, ce qui n=est pas un supplément réjouissant pour nos pieds meurtris.

A la source fraîche et ombragée, j=observe une randonneuse. Instantanément, mon cerveau, mis en veille par l=effort de la journée, se rallume et charge le programme Aretour glorieux du chevalier parti guerroyer, brûlé de soleil et poudreux d=avoir longuement chevauché, blonde pucelle puisant l=eau à la fontaine, oyez gente damoiselle, amour courtois, lai du laostic, etc..." Cet instant potentiellement médiévo-bucolique me pousse à détailler la jeune fille, la coupe très courte de ses cheveux blonds et le bronzage doré de sa peau... N=y aurait-il pas là quelque opportunité?

Hélas, à y mieux regarder, la belle a une mâchoire très carrée et des yeux renfoncés sous son front étroit. Je note ses épaules larges, sa maigre poitrine strictement aplatie par un soutien gorge spécial sport de marque Nike. Sous un ventre plat comme un bouclier, ses jambes musclées, d=homme, un brin arquées, prennent appui sur deux pieds solides et grands dans leurs sandales à lanières. Je ne me suis pas trompé, c=est bien une fille, mais de l=espèce tout terrain, quatre roues motrices châssis court.

A la fois lente et brusque, elle s=affaire à remplir deux vaches. Il s=agit de poches de toile souple, munies d=une anse, où l=on peut faire tenir sans peine cinq ou six litres. Lorsqu=on la soulève, la poche pend et s=allonge sous le poids de l=eau; mais quand on la pose, la vache s=écrase comme une bouse, et ne retient le liguide que par une collerette verticale, si vous me comprenez bien. Comme je la questionne, la randonneuse, à l=aide de phrases courtes mais précises, me vante les mérites de l=objet et envisage posément la quantité d=eau nécessaire à la confection des pâtes qui assureront à son groupe la ration de sucres lents utiles à l=effort du lendemain.

Un brin distrait par un vague sentiment de déception, je change de sujet et lui fais observer un animal qui volette non loin de nous entre les rochers du ruisseau. C=est un tout petit oiseau brun, à peine gros comme une balle de ping-pong, dont la queue semble fichée dans le corps. De ma mémoire surgissent les noms de paille en queue, traquet motteux, ou peut-être s=agirait-il d=un cingle pêcheur? La randonneuse n=en sait rien et propose A piaf@. In petto, tout en remplissant à mon tour mes gourdes, j=en reste au cingle pêcheur, dans l=attente de vérifications ultérieures.

Aux proches environs du refuge, çà et là, sont disséminés les emplacements de bivouac, partiellement ceints de murettes de pierre, et d=une horizontalité variable. Le cadre est sublime. Adossés aux crêtes rocheuses, la terrasse et les bivouacs contemplent, 1500 mètres plus bas, la côte occidentale et la Méditerranée, baignée par un grand soleil de fin d'après-midi. Après un bref conflit territorial avec une famille de randonneurs étrangers, Maurice et moi installons nos tentes. Toiles, arceaux, piquets, tapis de sol, sacs de couchage sont rapidement déployés. Tout est prêt pour finir confortablement cette première journée.

Je chausse mes tongs flambant neuves, soigneusement choisies avant-hier à Carrefour pour leur excellent compromis confort-légèreté. J=attrape le sac à congélation qui me sert de trousse de toilette, ainsi que ma serviette de bain en mousse plastique hyper absorbante, et je descends gaillardement le sentier de la douche. Un quinquagénaire, maigre et porteur d=un catogan, marche devant moi en chaussettes. Il me précède et prend donc possession des lieux. D=un air exténué, il referme le battant de bois, qui ne laisse voir que sa tête et ses pieds, et m=indique, sur un vague ton d=excuse: AIt=s very nécessaire...@

Je profite de l=attente pour utiliser les toilettes, qui sont bien sûr à la turque, sommairement équipées mais propres. Pour la chasse d=eau, un tuyau de caoutchouc noir pendouille, terminé par une manette rouge qu=il faut ouvrir puis refermer. Evidemment encore, le papier n=est pas prévu, et, comme chaque fois, en déroulant mon rouleau personnel, je ricane en songeant aux néophytes qui en feront la tardive, et donc amère, découverte. Je retrouve donc les conditions sanitaires habituelles aux refuges alpins. Accroupi, je me remémore les départs de course, entre quatre et cinq heures du matin, et la file d=alpinistes ensommeillés, le rouleau de PQ à la main, qui attentent en silence leur tour de s=enfermer dans le réduit puant. Ici, tout est conforme. Seul manque l=avis fait aux dames d=avoir à ne point jeter dans le trou leurs serviettes hygiéniques et à utiliser le récipient prévu à cet effet. Point d'avis, point de récipient. Le gardien a affiché sur un carton ADo not anything!@. Angoissant.

Dix minutes plus tard, douché et propret, fleurant le savon, je remonte vers le refuge en coupant par les rochers. Je dérape, me rattrape, mais, dans le mouvement, j=arrache la lanière de ma tongue gauche. Mauvais présage! Colère! Matos foutu dès le premier jour! Puis ressaisissement, réflexion, astuce, et je vais mendier au gardien deux clous et un marteau. Réparée, ma tong a plaisante allure avec ses deux têtes de clous qui dépassent à peine sur le côté. La voilà déjà marquée par l=aventure. Sa chair de plastique noir porte maintenant les stigmates de l=accident et de la réparation de fortune, faite avec les rustiques moyens du bord. Et c=est pourquoi je regagne les tentes avec la fierté de porter discrètement à mon pied un galon de baroudeur.

 

Le souffle gai du camping gaz chauffe l=eau de notre premier dîner lyophilisé. L=appétit (le meilleur cuisinier!) nous permet de mâchonner sans déplaisir. Il est vrai, cependant, que la conversation porte principalement sur le menu de demain soir. Le gardien m=a expliqué que l=étape serait physiquement aussi dure que celle d=aujourd=hui, et plus technique: blocs, barres et éboulis pendant six cents mètres de montée, puis parcours d=arêtes et raide descente de huit cents mètres sur Carruzzu (Caroutz). Mais il a annoncé un excellent repas chaud avec soupe corse, omelettes corses, charcuteries corses et vin corse.

Le soir vient doucement. Nous grillons une cigarette en observant un veau qui joue à se battre avec sa mère, non loin des tentes. Nous envisageons un instant le piétinement de nos fragiles hébergements. Mais je raconte les campements tanzaniens troublés par l'agitation nocturne des babouins (olivete baboons) et l'inspection furtive des hyènes (hyena). Après les fauves africains, comment craindre quoi que ce soit d=un stupide veau corse? Tandis que j=entends Maurice s=affairer dans la vieille cannadienne qu'il a empruntée à son fils, je m=endors rapidement dans mon fuselage de toile ultramoderne.

 

  

Samedi 3 juillet

Ortu di u Piobbu (1570 m)

Carruzzu (1185 m)

6 heures 40 - 12 heures 30

Je cours presque, emporté par le poids du sac vers le bas du pierrier. Les éboulis blancs renvoient sans pitié la chaleur du soleil de midi. Sous les semelles, les cailloux raclent la roche et à chaque secousse, je les arrose de la transpiration qui dégouline de mon front, de mes bras, de ma poitrine, de mon ventre. Régulièrement, venue du sourcil, une goutte de sueur me saute dans l=oeil et me brûle, puissamment concentrée en sel par l=évaporation. La réverbération est intense. Je n=ai plus d=eau. Je vois le refuge, au bout de la pente, qui parait tout proche. Mais le sentier n=en finit pas de bondir dans la rocaille, avec une brutalité surprenante pour qui connaît les lacets bien dessinés du continent. Imperceptiblement, la forêt se rapproche. Les ombrages me rafraîchissent. Je franchis le torrent et j=aterris en douceur au milieu des tentes, derrière le joli refuge de bois multicolore.

La marche a été rude, comme promis, mais le paysage somptueusement alpin. Après la longue montée, qui a réclamé presque autant d=efforts à nos mains qu=à nos pieds, le Capu Ladroncellu (Ladron=tchel=) nous a gratifié d=une vue impressionnante sur le massif du Cinto (Tchint=). Puis un beau parcours d=arêtes sans cesse descendant et remontant sur l=un et l=autre des versants nous à conduit au col d=Avartoli (Avartol=), à 1986 m, d=où nous avons plongé vers le refuge, en 800 mètres de caillasse que je viens de dévaler en 45 minutes.

En attendant que Maurice, qui ménage ses genoux, rejoigne le camp à son tour, je retrouve Evelyne, Paul et Jean-Luc sur la terrasse du refuge. Montés tranquillement de Bonifatu (Bonifat=), ils ont depuis longtemps installé leurs tentes sur les emplacements les plus plats, les moins caillouteux et les plus ombragés. Paul a déjà bu sa bière. Evelyne, impeccable et souriante, semble réjouie d=être là. Ils ont bien mangé et leur premier jour de GR (si l=on peut dire, compte tenu de ce qui a été exposé plus haut quant à leur itinéraire), leur a bien réussi. Je m=en réjouis car ce couple de quadragénaires, débutants en randonnée, n=a pas hésité à choisir le GR 20 pour faire ses premières armes, ce qui n=est pas sans risque compte tenu de la difficulté du parcours.

Vers trois heures et demie, je m=insinue dans ma tente, tunnel monoplace de 1300 g, pour me livrer à une sieste totalement non-culpabilisante et à la digestion d=un couscous-bouillon de poulet au jambon fumé rissolé et au comté fondu, suivi de quelques paillettes de gingembre confit en guise de dessert. Je perds très vite conscience et sombre dans un sommeil de plomb. Mais deux heures plus tard, réveil en sursaut. Une fourmi corse m=a mordu cruellement le sein gauche. Sa fuite éperdue sous les affaires qui jonchent ma tente lui sauve la vie. Mais je parviens à exécuter deux des ses consoeurs qui payent pour elle, une pour le principe et l=autre pour le dommage causé.

Bien que paresseusement tenté, je dois renoncer à retrouver le sommeil. D=abord par esprit de modération. Ensuite parce que les Allemands sont arrivés. Ils sont une demi douzaine, dont un gamin d=une dizaine d=années. Chacun sait que la langue de Goethe est douce à l=oreille, plus que beaucoup d=autres en tout cas, et notamment plus que le français. Il suffit, pour s=en assurer de se livrer à cette comparaison: ADie kleine Vögel singen im Wald@ n=est il pas plus mélodieux que le guttural ALé béti soizeaux chontent tans la fôréh!@? Nos amis d=Outre-Rhin sont tout à fait conscients de cet avantage linguistique,et en font profiter tout le monde. Le montage de leurs tente s=accompagne de nombreux AAchtung@, AWas machst du denn@, AWo bist du@ et autres AAch kwatsch@. Risquant un oeil hors de la tente, j=admire leur stature imposante, tant en hauteur, qu=en circonférence, qui contraste agréablement avec l=élégante coupe de leur moustache et la finesse de leurs lunettes métalliques. Oncle Hansi, tu ne mentais pas!

Définitivement éveillé, je m=éloigne vers à la douche, qui cette fois est en plein air, protégée des regards par quelques gros blocs et un rideau de frondaisons laissant filtrer le soleil. Nu dans la lumière, au milieu des roches brûlantes, je me lave, tout éclaboussé par l=eau du tuyau, tantôt chaude, tantôt glacée. Ragaillardi, je procède ensuite à la vaisselle et à la lessive. Pour laver les chaussettes, les enfiler comme des gants, et de se savonner-frotter les mains sous le jet d=eau. Les suspentes de la tente offrent un étendage acceptable. Le soleil n=a plus qu=à faire son oeuvre. Demain, plaisir d=une tenue propre et sèche.

En fin d=après midi, notre groupe se retrouve attablé et, après un pastis parfumé, nous nous régalons de tous les mets délicieux annoncés par le gardien d=Ortu di u Piobbu. A l=autre bout de la terrasse, nos compagnons d=Outre Rhin plaisantent avec une énergie joviale et poussent de sonores éclats de rires. Les bouteilles vides s=accumulent sur leur table et, pendant que les hommes s=amusent, le gamin déambule devant le refuge en buvant au goulot des canettes de panaché. Je regrette de devoir signaler que le gardien, un Corse petit, sobre, sec, mais avenant, a paru ne pas goûter sincèrement les manifestations de la saine camaraderie allemande. Jean-Luc l=aurait entendu souhaiter à haute voix le rapide départ de ces clients. Je l=ai moi même vu réprimander doucement le petit Allemand soûl lorsqu=il a jeté sur le sol un emballage de friandise. Quoi qu=il en soit, lorsque nous traversons les bivouacs endormis pour regagner nos tentes, la franche joie germanique continue de se donner libre cours, sous l=oeil noir d=un Corse aux mâchoires serrées.

Tard dans la nuit, j=entends de viriles exclamations provenant de points changeants du campement. Mal réveillé et mauvais germanophone, j=en discerne mal le sens, mais je ne crois pas me tromper en avançant que certains ont eu bien du mal à retrouver leurs tentes.

 

 

Dimanche 4 juillet

Caruzzu (1185 m)

Asco (1422 m), +740 m, 6 h 25 - 10 h 47.

Supplément facultatif: Ascension du Cinto (2706 m): + 1500 m environ avec les descentes et remontées finales, 14 h 05 - 21 h.

 

Les quelques 80 kilos de nos cinq sacs sont bien arrimés sur nos cinq dos. Il est presque six heures et demie et le jour s=est levé depuis une heure. Tout le monde est en forme à l=aube de ce troisième jour. Nous nous mettons à marcher encore plus tôt qu=hier, sans effort particulier. En faisant le tour du Mont Blanc en solo, en mai 1998, j=avais déjà remarqué que les journées de marche incitent l=organisme à se régler sur le rythme solaire. La règle fonctionne ici aussi et c=est de bonne grâce que nous nous dirigeons vers la célèbrissime passerelle de la Spasimata (Spasimat=).

Tous les topos, et surtout le film "Les Randonneurs", ont rendu fameux cet étroit pont de planches et de câbles, jeté au dessus d=une gorge profonde. J=avais gardé le souvenir d=une traversée impressionnante lorsque j=étais allé la reconnaître en décembre 97. Il y avait d=abord le balancement mou de l=ouvrage à chaque pas. Ensuite, les mains courantes se rapprochaient des planches au fur et à mesure de la progression, de sorte que dans les derniers mètres, on n=était plus sécurisé qu=à hauteur des cuisses. Ajoutez à cela que les planches, bien écartées les unes des autres, irrégulières dans leur largeur et dans leur espacement, l=étaient aussi dans leur solidité: au beau milieu, l=une avait disparu, et l=autre était rompue. Les deux morceaux pendaient vers le vide.

Ami lecteur, rassure-toi! Le GR20 est en perpétuelle mutation: le balisage est maintenant impeccable, beaucoup de refuges vendent et servent à manger, et la passerelle, l=inquiétante et initiatique passerelle, a été remplacée par un nouveau modèle en acier, solide et rassurant. Notre petite troupe franchit donc la gorge sans stress notable et, par une succession de dalles parfois impressionnantes, mais équipées de cables, grimpe sans rechigner jusqu=à la Bocca a i Stagni, avant de plonger par une belle et raide descente,sur Asco (Asco). Là, déplaisantes retrouvailles avec le bitume, les voitures, les pylônes de remonte-pente et le reste de la civilisation.

Asco, ancienne station de ski, aujourd=hui désaffectée. Un refuge, un gîte et un hôtel vieillot tenu par deux vieux Corses tranquilles et hauts en couleurs. Nous optons pour l=hôtel. Après avoir traversé la longue salle à manger en bois vernis, toiles cirées sur les tables et antiques agrandissements noir et blanc accrochés aux murs, j=achète des cigarettes à l=un des tenanciers et demande une boîte d=allumettes. Il m=en présente un paquet d=une douzaine de boîtes et m'en fait cadeau. Je crains de le vexer en refusant les onze boîtes inutiles, mais il comprend mes raisons lorsque je lui explique combien son cadeau est empoisonné: ces allumettes, il me faudra les porter sur mon dos, dans un sac déjà inutilement bourré de charcuteries (un kilo), couscous (un kilo) et brioche (un kilo) pour une semaine, puisque les topos insistaient sur la prétendue rareté des ravitaillements. Une provision d=allumettes pour deux mois m=apparaît donc inopportune, ce dont il convient avec le sourire. Quant aux cigarettes, je pourrai les payer plus tard, car, me dit notre hôte, Aon n=est pas pressé, on a le temps, nous aussi nous sommes en vacances@.

Première occasion pour nous, il y en aura bien d=autres, de découvrir l=étrange comportement comptable des marchands et aubergistes du GR. D=une façon générale, on peut dire que la pratique s=en appuie sur le principe d=approximation. Mais cette souplesse étonnante ne joue pas systématiquement au détriment du client. Ainsi, le lendemain, au moment des saluer et de reprendre le chemin, je devrai rappeler aux hôteliers que je leurs dois un paquet de Marlboro et deux bières. Ils s'en montreront surpris, me disant sur un ton indéfinissablement teinté de bienveillance et de discrète ironie: AC=est bien, c=est honnête, ça fait 45 francs s=il vous plait@ Puis, voyant que je n=avais que 37 francs et 80 centimes de monnaie, sauf à entamer un billet de deux cents, ils me feront grâce du solde, écartant d=un noble geste de la main l=inélégance qu=il y aurait à me demander le billet pour si peu.

Le précieux tabac acquis, je rejoins Jean-Luc et Maurice dans la chambre, où sont serrés trois lits, une table, deux chaises et une armoire. L=ordre impeccable de ce mobilier est immédiatement enseveli sous plusieurs couches de chaussettes sales, slips propres, nécessaires de toilette, bâtons de marche, couteaux, élastoplaste, pansements, saucissons, gore-tex, casquettes, camping-gaz, T-shirts humides, opinels, topo-guides, shorts, tentes, sachets lyophilisés, gamelles, le tout propice à la nidification de trois gaillards affamés. Tels des réfugiés clandestins, nous allumons le gaz à même la table de la chambre et mijotons, chacun à notre tour, d=odorants frichtis que nous dévorons avant de nous abandonner à une sieste digestive et réparatrice. Pénombre et silence, respirations lourdes, quelques ronflements discrets.

Vers deux heures, somnolent, je réalise l=ennui probable d=une après midi prévue pour la récupération, alors que face à nous, derrière les volets mi-clos, se dresse le géant des montagnes corses, sa majesté le Cinto (Tchinte). Je calcule rapidement l=horaire: on m=a prédit quatre ou cinq heures de montée, trois pour la descente, soit un retour vers neuf heures du soir, un peu tardif pour le dîner, mais laissant une bonne heure de battement avant la nuit. La dénivelée est certes de 1300 mètres et j=en ai déjà 740 dans les pattes, mais, d=une part, je peux me faire un sac réduit au minimum de poids, avec juste des abricots secs, une gourde d=un litre et une polaire, et, d=autre part, je ne suis pas mécontent de ma forme. De plus, l=occasion est trop belle de le gravir, le défi est intéressant, et ce petit supplément d=effort ne fâcherait pas ma vanité.

14 heures 05. Je quitte l=hôtel, en pleine chaleur, et file rapidement sur le chemin: bois de résineux, prairies, rochers, pont sur le torrent, grimpettes faciles sur les nombreuses barres qu=il faut franchir, puis hésitation: plus de marques sur les rochers. A gauche ? À droite ? Va pour la gauche, au hasard. Raide couloir d=herbe, de terre et de pierres, puis nouvelle escalade, plus longue, en direction d=une large cheminée rocheuse. Je monte, seul, sans assurage, et de plus en plus conscient d=avoir pris la mauvaise option. Mais je suis déjà trop engagé et, si je rebrousse chemin, mon horaire ne permettra plus d=aller au sommet et d=en revenir avant la nuit. Je poursuis. Au pire, si vraiment je suis dans l=erreur, j=aurai quand même escaladé un beau contrefort du Cinto. Soudain, un passage délicat ! Comment faire ? Pas vraiment difficile, à peine du troisième degré, mais la chute ne pardonnerait pas. Dans cette pente hérissée d=aspérités, une dégringolade me vaudrait moult meurtrissures et membres rompus. Et quid de la suite? Le passage sera peut-être impossible à redescendre et la sortie vers le haut n=est pas garantie. Et si je débouche sur un à pic de cent mètres ? Je risque bel et bien d=être coincé, seul et invisible depuis le sentier. La sagesse est assurément de renoncer.

Et de rentrer bredouille. Je fais donc le choix stupide de continuer, bravant toutes considérations raisonnables. Il est clair qu=à cet instant je n=ai pas l=Esprit du Vrai Guide de Montagne (EVGM). L=EVGM est charpenté de quelques formules sacrées telles que ASeul en Montagne Jamais N=Iras@, AUn Vrai Montagnard est un Montagnard qui Redescend Vivant@ ou encore ALa Vraie Victoire Est Parfois De Savoir Renoncer@. Mais tant pis, plein d=une ivresse conquérante, j=étudie les prises, je tente diverses possibilités, je passe et je continue, profitant des beaux baquets qui se succèdent maintenant régulièrement sous mes mains et sous mes pieds. Derrière moi, le vide se creuse. Un peu inquiet tout de même, la bouche sèche, je progresse vers le haut du couloir. Après un dernier mouvement, je découvre de l=autre côté, divine surprise, tranquillement déroulé sur une prairie plate, le bon sentier qui se dirige vers le Cinto. Grande allégresse! J=ai gagné! J=ai gagné! Je suis le plus fort du monde! J=ai gagné au jeu du courage, j=ai gagné à la loterie du risque-tout montagnard! Et, meilleur encore, j=ai gagné une victoire illégale, contre les Règles Elémentaires de Sécurité. C=est une joie de délinquant de la montagne, et c=est incroyablement bon. Je ne perds pas de temps, et, filant à flanc de versant vers les grands pierriers, j=improvise à haute voix un chant adapté à la situation.

 

Chanson du Cinto

(sur l=air de Troupiaux, troupiaux...)

Couplet Quand je faisais ma siesteuh, au refugeuh d=Asco,

Je m=suis dit pourquoi pas, aller voir par là haut.

Refrain Cinto, Cinto

Tu n=m=impressionn= guèreuh,

Cinto, Cinto,

J=vais t=grimper sur le dos!

 

Toujours chantant, je poursuis l=ascension et presse le pas. Pierriers, pierriers, et encore pierriers, de plus en plus raides. A mi-pente, belle envolée de bouquetins (ou de mouflons ? en tout cas pas de chamois, ici il n=y en a pas). La crête, à droite du sommet, se rapproche. Il n=y aura plus qu=à la suivre pour terminer, et je serai monté en trois petites heures seulement, ha ha ha! Mais grande désillusion: la crête est impraticable et le chemin redescend sur l=autre versant. Va, c=est d=accord. Je redescends sur une mauvaise trace entre blocs et pierriers, puis je remonte vers une éminence marqué d=un beau cairn. Ok, trois heures 20, ce n=est pas mal quand même! Mais non. Tonnerre de Brest! Une montagne me domine à droite. Récapitulation rapide: le Cinto est le plus haut sommet corse. Or une montagne est plus haute que là où je suis. Donc, nécessairement ... Je redescends, suivant les points de peinture rouge que j=avais pris pour le chemin venant du versant Calacuccia (Calacoutche). Plongée parmi de gros blocs stables, remontée sur une épaule rocheuse, puis nouvelle descente pour contourner un éperon. Le temps passe et ce jeu de yoyo devient particulièrement agaçant. Nouvelle remontée et cette fois, ouf, c=est la bonne. A 18 h 05, je pose le sac au sommet.

Vue splendide en principe. Beaucoup de nuages et de brume pour moi. Un jeune couple monte, tapis de sol et duvets sur le sac. Ils vont bivouaquer ici, en amoureux, pour voir le soleil se lever sur la mer. Quatre abricots secs, une cigarette. Fin de la gourde. Et c=est reparti pour une très, très longue descente.

D=abord le yoyo, à l=envers, puis les pierriers interminables sous le sommet. Puis la soif:Je bois, couché dans la poussière, le mince filet de fonte d=un névé. Encore des pierriers, et la fatigue qui commence à se manifester. Le soir tombe petit à petit et je cavale comme une pauvre bête, dans les barres, toujours plus bas. Au bout de trois heures, à la nuit tombante, déshydraté, exténué, mais revigoré comme un cheval qui sent son écurie, j=arrive en courant sur le parking de l=hôtel, sous les yeux rassurés mais un brin réprobateurs de Paul et Evelyne qui veillaient sur la terrasse. A noter que Paul, randonneur néophyte mais grand navigateur, est réputé pour son strict respect des règles de sécurité. Il me signifie donc, courtoisement mais fermement, ce qu=il pense de mon escapade solitaire, sans nourriture ni lampe. Je lui rétorque habilement que légèreté du sac signifie rapidité, et donc sécurité. Je ne suis toutefois pas certain de l=avoir convaincu.

Les deux vieux Corses, ainsi que la dame du bar, Maurice et Jean-Luc, m=attendaient aussi. Je rentre donc dans l=hôtel en triomphateur, mais comme tout le monde à mangé depuis longtemps, je m=assieds seul dans un coin, pour engloutir le dîner que l=on m=a très gentiment gardé de côté: sublime soupe, savoureux gigot, pain en abondance, fromage corse expressif, fruits parfumés et vin rouge à volonté: le BONHEUR.

Pendant que je mastique, les autres bavardent. Ne saisissant que des bribes de la conversation, j=entends raconter comment, aux dernières élections municipales d=Asco, le tenancier de l=hôtel l=a emporté grâce aux voix de compatriotes résidents à Caracas, l=élection ayant permis de compter quelques cinq cents bulletins alors que le village compte 180 âmes. Vraiment, je ne me lasse pas de cette auto-dérision enjouée et pittoresque que j=ai souvent notée sur l=île. Je me souviens de la vieille Lirette et de son petit restaurant, sur la route nationale à Vivario, où Sophie et moi avions passé la Saint-Sylvestre 1997. Dans la salle vide et basse où pendaient les saucissons d=âne, le lonzo (lon=ze), la coppa (cop'), et le figatellù (figatel), elle surveillait les saucisses qui grillaient dans l=âtre en bavardant avec nous, assise dans son fauteuil d=osier. Bien que fraîchement épris de corsitude, je n=avais pas manqué de relever que la châtaigne est une des fiertés de l'île, au point qu'on la trouve parfois là où on ne l'attend pas et que certains auraient tendance à la mettre partout. N=avais-je pas failli, la veille, acheter un kilo de farine de châtaigne, avant de ma rafraîchir d'une Pietra, bière corse à la châtaigne? Comme je demandais donc, enthousiaste et voulant me montrer connaisseur, si l=excellent potage qu=elle nous avait préparé ne devait rien, lui aussi, à la châtaigne, elle m=avait répondu d=un air malin ANon, non. Vous savez, il ne faut quand même pas exagérer ...@.

Avec ou sans châtaignes, la panse bien pleine et le Cinto en poche, je monte prestement m=allonger sous les draps frais. Il s=agit de bien dormir, car demain nous attend une nouvelle épreuve: la traversée du redoutable Cirque de la Solitude.

 

Lundi 5 juillet

Asco - Cirque de la Solitude - Ballone

7 h 25 - vers 13 h.

+ 990m

Assez tardivement, nous quittons Asco peu avant la demie de sept heures. Voilà déjà quatre jours que nous marchons et nous réalisons, un peu impressionnés, qu=il en reste douze, trois fois plus, pour arriver à Conca. Tous marchent d=un bon pas, tandis que je traîne la patte, les cuisses endolories de mon exploit d=hier. Le chemin grimpe régulièrement le long d=un torrent, traverse névés et pierriers et monte vers le Col Perdu, de son vrai nom Bocca Tumasginesca (2183 m).

Distancé par les autres, j=arrive seul à la crête où je reçois en plein visage une rafale de vent, avant d=apercevoir le gouffre gigantesque qui se creuse à la verticale devant mes pieds. A un mètre du bout de mes semelles, la roche se brise sur le vide, laissant voir les deux premières brassées d=une chaîne scellée à la paroi qui court vers l=abîme et disparaît sous un premier ressaut. Plus bas, et tout autour, profond de deux cents mètres, c=est un titanesque entonnoir de roc qui va m=aspirer. Loin, dans les parois d=en face, j=aperçois, Jean-Luc, Paul, Evelyne et Maurice qui remontent vers la Bocca Minuta et vont bientôt s=échapper de ce cratère lugubre.

J=agrippe les maillons froids de la chaîne et entame vivement la dégringolade somptueuse qu=est ce mythique passage du GR 20. ACours pas, cours pas@ me lance le Parisien, que je n=avais pas vu. Sa tête sous mes talons, il est en train de rassurer sa femme pâle comme un linge. AVas-y, passe devant@, ajoute-t=il. Et je dévale les barres rocheuses, les nouvelles chaînes, les éboulis irréguliers, souffrant des genoux qui peinent à retenir mes 85 kilos d=os, de chair et de matériels divers. Abruti par la concentration, je dépasse l'Alsacien et l'Alsacienne qui n=ont pas l=air dans leur assiette, et je finis par atterrir au fond du cirque. Je m=accorde une pause cigarette sur un rocher glacial en compagnie d=un oiseau noir à bec jaune, puis des Alsaciens, qui font un peu pitié avec leurs genouillères respectives et leurs gros sacs ornés de casseroles brinqueballantes. Le froid me gagne vite, et je repars pour monter 230 mètres de rocailles, escalade, chaînes et échelles de fer, en essayant accélérer l=allure pour rejoindre mes compagnons géhèriens.

Mais ils ont filé, et je descends le ravin du Stranciacone à la traîne, jusqu=au beau refuge de Tighiettù (Tidjiète), bourré de scouts, que j=abandonne aussitôt pour les bergeries de Ballone (Ballon'), terme de l=étape du jour et lieu prévisible d=un repos bien mérité.

L=esprit embrumé de fatigue, j=écoute distraitement Paul qui me raconte qu=un quart d=heure avant mon arrivée, la bergerie était la proie des flammes, et que le berger est un bouc hirsute et malgracieux et qu=on pourra se baigner au torrent tout à l=heure. Je m=affale dans le premier siège venu sur la terrasse. Nous avons retrouvé nos amis allemands, toujours d=excellente humeur. AToujours pas vu de cochons sauvages@, fait remarquer Jean-Luc en glissant un coup d=oeil perfide de leur côté. En tout cas, domestiquée sous forme de lonzù et de saucisse au goût de caramel, avec beaucoup de pain beurré et un bon quart de rouge, la gent porcine irradie mon ventre d=une inconcevable douceur. Je savoure d=autant plus cet instant qu=approche celui de la dernière épreuve du jour: la recherche d=un emplacement pour le campement.

La tente montée entre les murs de pierres sèches d=un bel enclos à mouton, je m=y glisse, pour tout abandonner au sommeil, malgré la chaleur de four et la flaque de sueur qui s=élargit lentement sur le tapis de sol, à hauteur de mon aisselle. En pleine torpeur, j=entends vaguement Paul ou Jean-Luc, je ne sais pas bien, dire que je suis fou de dormir par cette température et que je devrais venir à l=ombre au bord du torrent. Mais je suis tellement avachi qu=il est hors de question pour l=instant de remettre la machine en route, même pour la plus belle des piscines naturelles corse. Alors ils me laissent dormir et vont se baigner tout l'après-midi.

Puis cette quatrième journée se termine selon le mode désormais rituel: apéritif, dîner commun, bavardages insouciants et coucher vers les huit heures. Après, il n=y a plus que de brefs crissements d=étoffes dans les tentes immobiles, puis le silence de la montagne.

 

 

Mardi 6 juillet

Ballone, Ciottulu di i Mori, Castel di Verghiù

7 h 23 - ?

Début du cinquième jour. Le petit déjeuner englouti de bon appétit, les tentes roulées et le matériel bourré dans les sacs, à 7 heures et 23 minutes précises selon la montre de Paul, nous nous chargeons une fois de plus.

L=habitude est là, maintenant. Les corps se sont endurcis et la charge vient se placer naturellement dans le dos, comme un appendice corporel amovible mais nécessaire, sans lequel l=équilibre serait imparfait. Les chaussures bien lacées, les bâtons bien en main, nous partons d=un pas léger, le nez au vent, enthousiastes par avance des découvertes de la journée. Comme les marins au long cours, nous nous sommes imperceptiblement coulés dans un rythme de vie différent, répété chaque jour du calendrier, seulement marqué par le soleil, l=effort, la faim et la soif, puis le repos. Désormais, peu nous importe depuis combien de jour nous sommes partis, ni combien il en reste pour arriver. Seul compte d'avancer, et demain sera ce qu=il sera.

Nous marchons tous ensemble, l=humeur est excellente, et la montée au refuge de Ciottulù di i Mori (Tchiot=toulou di Mor) cède facilement sous nos pas. Dans les derniers pierriers, j=accélère le rythme, et, tel un Jacques Lanzman, je ne perçois plus mes jambes que comme un jeu de pistons et de bielles endiablées qui martèlent le sol de plus en plus vite. Dans le dernier pierrier, casaque rouge, bonnet bleu, je m=échappe du peloton. Mais Paul, casaque jaune casquette blanche, cravache à son tour. Je le sens sur mes talons, je maintiens la vitesse sans accélérer, je dois garder de la réserve pour le sprint final. Paul suit sans défaillir. Alors j=augmente le régime. Mon souffle se raccourcit. Le sien aussi mais il ne lâche pas. Nous trottons très vivement quelques minutes sans nous départager, puis, arrivés en vue du refuge, d=un tacite accord, nous nous arrêtons, heureux de ce plaisir de gamin. Mais à gamin, gamin et demi. Je laisse le groupe partir devant et gagner quelques minutes, puis je me lance à sa poursuite, en courant dans la caillasse avec mes 18 kilos sur le dos. Je dépasse tout le monde in extremis, pour arriver à la course sur la terrasse du refuge, premier, sous les yeux des randonneurs déjà là, qu=il me plaît de croire emplis d=admiration. On ne se refait pas.

De renards, point. Jean-Luc, méticuleux organisateur de l=expédition, avait pris ses renseignements et on lui avait dit l=endroit infesté de goupils. Nous ne verrons pas la queue rousse du moindre d=entre eux. Mais nous comprendrons un peu plus tard que cela ne nous a pas empêché d'en rencontrer un beau.

Au refuge, nous nous restaurons en devisant avec d=autres groupes. Nous avons en projet, pour l=après-midi, d=aller au Tafunatu ou à la Paglia Orba, les deux roches qui dominent Ciottulù. Mais les informations sont très contradictoires. Selon les uns, tout celà est très facile, certes un peu vertigineux et nécessitant quelques pas d=escalade, mais quasiment à la portée d=un enfant. Selon les autres, les deux parcours sont très dangereux, et l=usage de la corde - que nous n=avons pas, y est impératif. Par ailleurs, nous n=avons d=autre topo que celui du GR, qui semble clair, sauf sur le point d=attaque, ce qui est gênant. Mais peu importe, nous décidons d=essayer, et, laissant Evelyne au refuge, nous partons tous les quatre, Paul, Maurice, Jean-Luc et moi, en direction du Tafunatu, autrement dit le ATroué@.

Cette montagne est mythique. Selon la légende, cette gigantesque molaire de pierre est largement percée en son milieu par un soc de charrue que le Diable avait jeté, de rage, car Saint Martin s=était amusé à critiquer sa façon de labourer.

Nous avons beau faire, chercher, aller et venir, nous ne trouvons pas de voie accessible vers le sommet. C=est une belle initiation à l=escalade pour Paul et Maurice, qui découvrent les joies des barres péteuses et des vires expo, voire gazeuses, mais pendant deux heures, nos trajectoires de singes rupestres ne nous conduisent qu=à des dalles lisses ou des brèches infranchissables. Maussades, nous redescendons au refuge, où nous relatons notre aventure à un grand type sec qui bavarde avec le gardien et semble du coin. C=est que nous somme prêts à remonter immédiatement, il faut seulement qu=on nous dise où passer. Le type est en mini short de coureur de fond et nous fait préliminairement savoir que le GR 20, lui, il l=a fait en courant d=un bout à l=autre, ne s=arrêtant que pour dévorer des plats de pâtes que des amis lui avaient laissé dans la montagne. Une fois son auditoire béat d=admiration, il accepte de nous parler du Tafunatu: AAh, mais c=est que c=est très dangereux, vous comprenez, on ne peut pas y aller comme ça, l=an dernier un gars est tombé de la vire, un petit coup d=épaule, vous voyez, et terminé, il faut connaître, et puis une partie de la vire s=est écroulée il n=y a pas longtemps, on ne peut plus passer comme avant, non, vous savez, mieux vaut ne pas remonter aujourd=hui, il faut un guide pour vous conduire, alors vous n=aurez plus de problème, tiens, si vous revenez et si vous avez besoin, n=hésitez pas, demandez D. au village de V., n=oubliez pas, D. à V. @ , après quoi il nous salue et disparaît.

Nous sommes impressionnés et déconfits. Ma foi tant pis, si c=est comme ça, si difficile et si dangereux, on verra une autre année. Mais tout de même, quelque chose ne va pas. Les topos parlent d'une course facile. Elle figure même dans le livre des Grands Sommets du Randonneur (du RANDONNEUR !). Notre interlocuteur n=aurait-il pas réussi à nous décourager en dramatisant à outrance, pour mieux nous convaincre de le payer comme guide, la prochaine fois? Ce rusé renard nous a fait perdre notre temps avec ses boniments. Vite, nous nous ressaisissons et discutons d=une nouvelle tentative immédiate. Mais hélas, sortis du refuge, nous constatons que le mauvais temps est arrivé. La montagne résiste aux nuages qui commencent à l=envelopper par derrière. Par son trou béant, elle déverse une brume blanche qui se dissout lentement à mi hauteur de la paroi. Bientôt, tout aura disparu.

Alors, nous abandonnons, pas mécontents de pouvoir imputer l=échec à la météo, et nous repartons en direction de Castel di Verghiù (ou di Vergio, prononcer en tous cas Castel di Verdj).

Cette descente est un nouveau ravissement. Le groupe s=est séparé et je marche avec Jeannot, le long des crêtes. Tandis que nous devisons, en contre bas, au fonds du vallon, trois chevaux sauvages jouent au soleil, se poursuivent et se cabrent les uns en face des autres. Le sentier rejoint le lit du Golo, magnifique torrent qui, de piscine en piscine dégringole vers la basse vallée. L'envie de me baigner est forte et je laisse continuer Jean-Luc, qui est pressé d'arriver. La piscine est une longue vasque limpide, creusée dans la roche sombre, où nagent quelques truites. L'eau est à une température délicieuse, à la fois fraîche et tiède. Je m'immerge et nage quelques brasses symboliques, avant de me remettre en route. Mais quelques centaines de mètres plus bas, une autre vasque, encore plus belle, scintille au soleil. Sur une dalle apparemment confortable, Maurice, sobrement vêtu d'un slip de bain et d'un paire de lunettes noires, mollement allongé à côté de son sac défait, fume une cigarette roulée avec des airs de play-boy blasé. Sans avoir trop cherché à résister à cet exemple de paresse, je me débarrasse une seconde fois de mon bagage et de mes hardes, et plonge. Je nage lentement jusqu'à la petite cascade, tout au plaisir fluide de cette eau transparente. Plus léger qu'un papillon, je regagne la rive et me mets à sécher, bien calé sur un chaud rocher. Nous partageons un peu de tabac et restons là une bonne heure, à bavarder en vieux camarades, parmi les petits lézards gris qui courent en silence autour de nous.

Une fois rebâtés, une longue traversé à flanc, dans une forêt pleine de vaches à demi dissimulées, n=en finit pas de nous conduire au col de Verghiù. Là, à côté d=un campement de Tchèques arrivés en car et d=une meute de cochons sauvages accourue pour leur extorquer quelque friandise, se dresse l=hôtel tant attendu.

C=est une construction de la fin des années soixante, sans doute très moderne à l=époque, et qui est restée, comme disent les antiquaires, dans son jus. Toute la décoration intérieure, très typée sixties ou début seventies, a été conservée sans autres modifications que celles du temps: moquettes usées, tuyaux pendants dans les cages d=escalier, lustres de boules oranges dans la grande salle à manger.

Sur la terrasse qui surplombe la route, je m=assieds à la table où se délassent déjà Paul et Evelyne. Malgré le soleil, un vent frais s'est levé et nous remontons le col de nos polaires. Un barman maigre et pâle, grand, voûté, s=avance avec lassitude pour prendre notre commande. Sans un sourire, sinistre avec sa longue dent en avant, il lâche A J=ai toujours froid, ici, je n=ai jamais senti la chaleur. C=est un pays de corbeaux@, puis s=en retourne, sévère. Frappés par cette apparition sépulcrale, nous tentons de siroter nos bières d=un air dégagé. Dans un film d=horreur, la première apparition du vampire n=aurait pas été différente: Un hôtel un peu fané, isolé dans les montagnes; un groupe de randonneurs insouciants s=apprête à y passer la nuit; l=hôte est bien un peu bizarre mais, RATIONNELLEMENT, rien ne justifie qu=on en tienne compte; le soir tombe...

Heureusement, il y a Léon. Le patron s=appelle Léon. Il est très petit et doit le jour, selon toute vraisemblance, à un croisement des acteurs Alberto Sordi et Carrette. Il le sait, qu=il est petit, et il affirme, péremptoire: AIl n=est pas nécessaire d=être grand pour avoir les choses bien en main, regardez Napoléon... bien sûr, il est plus connu que moi@. Léon nous fait servir un dîner somptueux. Tout le monde est gai et ce soir les Alsaciens, qui paraissent requinqués, fêtent leurs 25 ans de mariage.

Le lendemain après le petit déjeuner, au départ de Jean-Luc, Léon chantera pour toute la salle des airs de Luis MARIANO, applaudi à tout rompre.

  

Mercredi 7 juillet

Castel di Verghiù - Manganù

7 h 10 - ?

Couinements électroniques. Obscurité. Silence. Couinements aigus encore. Pénombre, des formes molles remuent vaguement dans les lits, sauf dans celui de Jean-Luc. Barricadé dans son sommeil par deux bouchons de mousse plastique jaune soigneusement disposés la veille au creux de ses pavillons auriculaires, il est coupé du monde phonique. Comme tous les matins, il gît ainsi dans son cercueil stéréophonique muet, encore drogué par son Lexomil du soir, et il faudra sans doute le remettre en marche à l=aide d=amicales mais vigoureuses secousses de sa literie. Mais ce matin le coeur n=y est pas. Chacun, caché dans le froissement mou des couvertures, attend des autres l=impulsion qui fera refluer sa torpeur.

Clic, fait l=interrupteur en laissant 220 Volts jaillir vers l=ampoule plafonnière. Trois bouilles rouges, gonflées et hirsutes quittent bientôt la pièce en direction du petit déjeuner. Il est 6 h 30.

Monsieur Léon, malgré ses promesses, n=est pas à l=heure et n=arrive que dix bonnes minutes plus tard. Mais il se rattrape en lançant immédiatement une activité extraordinaire dans la salle, bavardant, prenant commande, roulant sa bedaine de table en table avec la légèreté d=un danseur. Bavard, une serviette sur l=avant bras , glissant prestement sur ses jambes courtaudes, il surveille tout, dirige tout et, fusillant le serveur du regard, stoppe d=un cri l=activité de la salle: APlus personne ne bouge !@; puis faisant pivoter son mètre cinquante impérial vers une cliente statufiée, il annonce, grandiose: ALe thé de Madame !@. Et vire, et court, et roule, le voilà d=une pirouette revenu vers nous, gémissant à la cantonade qu=il ne s=est couché qu=à six heures du matin et qu=il a du danser le tango toute la nuit. Mais il nous sussure aussitôt, complice : AQu=est-ce qu=il ne faut pas faire pour amuser la clientèle !@, et repart, victorieux, surveiller la machine a expresso.

Pendant ce temps, les belles tranches de pain, d=abord beurrées, puis chargées en confiture, convenablement pré-imbibées de salive et mastiquées, avaient commencé, après force coups de glottes et par l=entremise de nos cinq estomacs, à irriguer nos mécaniques ambulatoires d'une jouvence efficace. Nous nous sentons des fourmis dans les jambes. Aussi, désormais très dispos, reprenons-nous le cours de notre voyage et quittons-nous le royaume de Léon, non sans avoir veillé à lui faire corriger la note, inutilement alourdie d=une centaine de francs (AC=est la machine, Madame, parfois, elle se trompe@).

Durant trois heures, nous montons, ravis de pouvoir enfin marcher sur un véritable sentier, bien tracé, régulier et doux au pied. Après avoir croisé sur une crête un troupeaux de ces magnifiques chèvres corses -bêlement, barbes et cornes -, nous surplombons le lac de Nino. Creusé dans un vaste replat verdoyant à 1743 mètres d'altitude, c=est un bijou naturel. Ses rives sont gazonnées comme un green de golf et percées de dizaines de petites mares miroitantes, les pozzine (podzin=). Ses eaux bleues attirent quantité de chevaux sauvages. Certains paissent avec application en compagnie de bovins placides. Des poulains cherchent la mamelle sous le ventre rond de leur mère. D=autres se regroupent en bande et galopent librement, pour le plaisir de jouer dans la lumière. Ebloui par cette superbe harmonie de la nature, je suis pris de l=envie de m=y fondre physiquement. Alors je pose le sac, retire mes vêtements et descends dans l=eau. Elle est un peu fraîche, mais je m'y glisse et gagne à la brasse coulée le centre du lac. J'ai conscience des eaux sombres rassemblées sous moi. Mais je vois aussi l'infinie coupole du ciel et je m'enivre de flotter entre l'air et l'eau, le tiède et le glacé, la légèreté et l'épaisseur, les éclaboussant les uns des autres à chaque geste. Je nage ainsi un bon quart d=heure, avant de rattraper Jean-Luc et Maurice, cinquante minutes plus bas, à la bergerie de Manganù (Mangane).

Les murettes de pierre qui ceignent la bergerie sont couverts de faisselles de brocciù frais (brotche), que le berger vient de confectionner avec le lait de ses chèvres et de disposer au soleil. Maurice et moi ne pouvons résister à leur blanche mollesse et nous en achetons une que nous partageons avec les Parisiens. C=est un régal absolu que de laisser fondre dans sa bouche cette pâte très fraîche, légère et à peine parfumée. Le Parisien a obtenu du berger un minuscule verre de rouge tiède et puissant. Lui-même sort de son sac une belle tranche de lonzo et nous nous pâmons d=aise en mâchant. La femme du berger nous explique longuement ce qui sépare le noble brocciù de la médiocre brousse, mais je l'ai oublié.Le drapeau corse, tête de maure sur fond blanc, faseye au faîte de son mât de bois brut. Entre mes pieds, je ramasse une cartouche percutée de 22 long rifle. Quel genre de gibier tire-t=on avec ce type de munition? Est-ce la face cachée de la Corse que je dévoile ainsi? La bergère n=a rien à dire sur la question et met un terme à la conversation. Intrigués, nous reprenons le sentier, au travers d=une prairie infestée de gorets sauvages, vers le refuge de Manganu. Les Tarbais on été attaqués. L=un deux transportait un melon dans un sac plastique attaché au cul de son sac à dos. Le verrat est venu par derrière et, d=un coup de dent, à tout arraché.

Et à Manganu, c'est la catastrophe. Evelyne et Paul ne sont pas au refuge. Tôt ce matin, nous les avons perdus de vue. Nous avions rebroussé chemin, appelé longuement, avant de tenir conseil, Jean-Luc, Maurice et moi. Ils se sont manifestement perdus, et le souvenir du film "Les Randonneurs", déjà cité, nous fait craindre pour eux une nuit à la belle étoile, dans les broussailles, assaillis par une horde de cochons insatiables. Faute de savoir à quel moment et dans quelle direction ils ont quitté le GR, nous ne pouvions qu'espérer les retrouver au refuge en fin d'après-midi. ET ILS N 'Y SONT PAS. A vrai dire, je ne parviens pas à m'affoler autant qu'il semble être nécessaire, alors que Jean-Luc témoigne d'une inquiétude maximale. Maurice, sage et prudent, montre une muette préoccupation. Tandis qu'il partage une bière avec moi à la terrasse, Jean-Luc, lui, volette comme un moustique entre le refuge et le pont sur le torrent, plus bas, en deçà duquel le sentier échappe à notre vue. Chaque fois qu'apparaissent deux silhouettes semblables aux disparus, il bondit et court à leur rencontre, pour prendre le sac d'Evelyne qu'il devine épuisée. Comme la terrasse est pleine de randonneurs que ce manège intrigue, j'explique que Paul est le patron de Jean-Luc et j'avance, fielleux, que l'humanité n'explique peut-être pas tout son empressement. Ces odieux propos suffisent en tout cas à déclencher des salves de lazzi et tous crient "Fayot !" chaque fois qu'il s'élance sur le chemin. Chevaleresque, il n'en a cure, et, sans faillir, attend de secourir la dame de son seigneur.

19 heures 45. Les égarés sont finalement arrivés et nous avons tous dîné en bavardant gaiement, serrés sur les bancs de la terrasse du refuge (pour beaucoup, hachis parmentier lyophilisé, poisson en sachet ou blanquette de veau en poudre; pour moi, double couscous-bouillon de boeuf-comté fondu-saucisson, gingembre confit en déssert). Puis nous avons rejoint les châlits et nous sommes rapidement et parallèlement enfournés dans nos duvets.

La porte du dortoir est fermée. Il fait sombre. Maurice dort déjà. Une famille hollandaise, bien enveloppée dans ses sacs à viande de soie grège, tourne sur elle-même en cherchant vainement un sommeil prématuré.

Tout au fond du dortoir obscur, sur le châlit supérieur, gît la jeune Allemande qui tout à l=heure a eu le visage brûlé par son réchaud. La face couverte de bandages blancs, adossée à son sac, elle semble attendre dans la pénombre et regarde fixement vers la porte. Deux camarades accroupies à ses côtés la veillent, silencieuses elles aussi, parfois chuchotantes. Devant-elles, trois bouteilles dressées de Fanta et de Coca scintillent à l=éclat d=une lampe frontale et semblent autant de cierges qui complètent cette Piétà montagnarde. Il est maintenant plus de huit heures du soir. Tous sombrent dans le sommeil. Au pied des lits, on distingue encore l=ombre des sacs à dos démantibulés et des chaussures délacées, abandonnés jusqu=au lendemain. J=entends les respirations se faire plus lourdes. La fonction alarme de ma montre est correctement programmée. L=écran s=allume dans le noir et indique A4:00@. Demain: la brèche de Capitellù (capitel) ...

 

 

 

Jeudi 8 juillet

Manganù - Petra Piana - Onda

Départ de Manganu à 5 heures 5. L=étape est une fois de plus fort belle. Ce n=est pas pour rien que tous les anciens du GR 20 se plaisent à dire que chaque journée est différente des précédentes, renouvelant toujours la beauté des paysages. Aujourd=hui, les points forts sont le passage de la brèche de Capitellu, suivi de la vue surplombante sur les lacs de Melo et Capitello. Le topo annonce la chose dans les termes suivants: ALe terrain devient de plus en plus escarpé et l=itinéraire pénètre dans une zone particulièrement rocheuse. Au débouché de la brèche (2225 m), un névé persiste parfois jusqu=à la fin de l=été: sa traversée nécessite la plus grande attention (utiliser corde légère et piolet)@.

Nous n=avons ni corde ni piolet. La montagne ne sourit plus. Le temps est couvert, le vent souffle fort et froid, par rafales. On dirait des coups d'archets désordonnés, anonciateurs d'un finale tragique et laissant très clairement pressentir combien le déchaînement de l=orchestre pourrait être violent. Quelque chose de wagnérien semble se combiner rapidement autour de nous. Poussés par la tourmente, les nuages se déchirent sur les parois tranchées de la brèche, et, minuscules, nous passons sans demander notre reste. Le névé est déjà fondu et une descente en caillasse nous éloigne rapidement de ces lieux inquiétants.

Après une pause revigorante, abreuvés de thé chaud, nous filons dans la gisaille vers les cols qui se succèdent: Bocca a Scoglia, bocca Rinosa, bocca Muzzella. Le temps se fait plus clément et nous pouvons sans risque braver la menace passée en chantant. En prélude, quelques airs d=opéra: Après mon divin solo dans l=air du champagne de Don juan, A Finch=hann=dal vino calda la testa, una gran festa fa prepar, se trovi in piazza qualche ragazza, cerca ancor quella teco menar...(Pour qu'y soillent tous fin bourrés, on va faire une méga teufe, et si en ville tu trouves des meufs, oublie pas d'nous les ram'ner...), Jean-Luc et moi entonnons en duo l=air des Noces ASe vuol balla-are signor contino (bis), il chitarrino le suo-onero! (s'y veut guincher, Môssieur le comte (bis), j'lui en jouerai, moi, un air d'ma guitare!) @. de nous lancer avec Paul dans le très classique Jeanneton prend sa faucille puis dans un somptueux Ah les p=tits potes final.

Plus tard, ayant pris un peu d=avance, je pousse la porte du petit refuge de Petra Piana à 10 heures 15. Jolie randonneuse enrhumée, pâle et mince, fragile dans son coupe vent rose. Temps gris, ondées, bol fumant devant la vitre. Le groupe me rejoint à 11 h 35. Tambouille. A midi et quart, tous dorment comme des bébés, serrés dans leurs duvets multicolores comme des crayons de couleur dans leur boîte.

Puis direction Onda. Le groupe passe par les crètes en 4 heures 40 (très beau, avec passages d=escalade cotable 2+/3- selon JL), alors que, parti à la traîne, je rate lamentablement la bifurcation et me retrouve sur la voie normale de la vallée. C=est pour moi une descente en marathon furieux, puis une remontée dans les bois, où j'écarte les vaches à coups de bâtons, torse nu, en nage, doublant rageusement d=autres randonneurs (2 heures 50, pour 4 heures 40 selon le topo). Je sors du bois et je passe devant le campement, vers le refuge, sans voir les autres qui ont loué des tentes et me hèlent vivement. Je franchis alors la clôture comme un taureau entre dans l=arène, traverse l=enclos à demi nu et en sueur , alors que tous sont chaudement couverts, jette mon sac, cours à la fontaine pour y boire et m=y doucher, en me contorsionnant sous le flot lourd et glacial.

Une fois calmé et chaudement vêtu, je m=entends expliquer que le refuge est complet et qu=on a donc loué de confortable tentes avec matelas, dans cette enceinte qui est grillagée à cause d=une bande de porcs avides, grouillant et grognant. Les Allemands sont également présents. Lorsqu=arrive le berger avec son troupeau de brebis bêlantes, les porcs les importunent et crient. Les chiens ne laissent pas faire et jappent avec ardeur. Les Allemands rient. Autours de nous s=agitent ou se reposent des personnes connues. Je retrouve ainsi la fille du premier soir, sans ses vaches mais toujours aussi peu féminine dans son pantalon d'alpinisme Mammut. Nous l=avons surnommée Marilyn. Retrouvailles encore avec les Parisiens, les Alsaciens, les Tarbais, tous maintenant familiers. Le temps reste gris. Popote devant chaque tente. De l=une à l=autre, on se hèle amicalement. Maurice se roule une cigarette. Evelyne est déjà couchée. Solitaire, Paul redescend du refuge, tenant à la main un bière qu=il est allé chercher malgré la rude montée qui l=en séparait. Conscient des regards, ils nous jette, souriant de lui-même Aon voit comment je vais finir !@. Le soir vient doucement sur le campement; les voix s=affaiblissent et disparaissent les unes après les autres, remplacées par le zip bref de la fermeture des toiles.

 

 

Vendredi 9 juillet

Onda (1430 m) 7 h 20

Crête de Muratellu (2010 m) 8 h 50

Monte d=oro (2389 m) 10 h 30

Vizzavona (920 m) 13 h 30

Dernière étape de la première partie. Le plus dur sera fait, nous sentirons nous capables de continuer? On dit qu=a Vizzavona beaucoup abandonnent et prennent le train pour Calvi.

Nous montons tous ensemble à la Crète de Muratellu, où je me sépare de mes compagnons, aucun ne voulant me suivre au Monte d=Oro, dont la traversée offre une intéressante alternative au tracé normal, qui descend à Vizzavona par la Cascade des Anglais. Je continue donc seul l=ascension. Un autre géhérien laisse son sac au col et me dépasse. Déja au sommet alors que je peine encore dans la caillasse, il lance de nombeux jodels, qu=un écho extraordinaire renvoie deux ou trois fois. Je m=arrête alors une vingtaine de minutes pour le laisser redescendre et nous éviter une promiscuité désagréable. Eboulis et escalade de blocs faciles me mènent alors à la cime, où s=offre à moi un panorama éblouissant. La vue est immense sur 360 °. C=est presque toute la Corse que j=embrasse du regard, dominant les côtes occidentales et orientales de l=île, puis la Méditerranée, immense et grise, qui s=étale au loin vers l=horizon.

Enivré de beauté, je m=égare à la descente dans de grands pierriers suspendus, bondissant parmi les blocs rougeâtres et faisant fuir un troupeau de chèvres farouches. Je retrouve le balisage sur un plateau d=herbe tendre, à côté d=un magnifique emplacement de bivouac. Une enceinte de pierre sèche, haute d=un mètre et parfaitement circulaire y ferait une chambre délicieuse pour une nuit à la belle étoile. J=aimerais y revenir pour une randonnée de deux jours: d=abord montée de Vizzavona et bivouac, puis montée au sommet pour le lever du jour et redescente par la cascade des Anglais avec baignade. Je poursuis ma descente sous un ciel menaçant.

A l=approche de la forêt, les premières gouttes arrivent, rapidement suivies de paquets d=eau. J=ôte tous mes vêtements, hormis un slip de bain, les fourre dans mon sac, et revêt ce dernier de la belle housse imperméable que Jean-Luc m=a offerte l=an dernier pour mon anniversaire. Je le remercie encore. Fouaillé par la pluie, puis par des grêlons fins comme du gros sel, je descends aussi vite que je peux, mal servi par de mauvaises chaussures. La semelle glisse sur tout ce qui est mouillé, et le chemin dévale de racines humides en dalles détrempées, que je franchis souvent sur les fesses. Je suis obligé d=aller lentement, car si je me blesse, l=attente des secours risque d=être très longue. Je suis également obligé d=aller vite, car je dois maintenir une température corporelle élevée pour lutter contre le froid. Comme souvent en montagne, il faut transiger transige et je fais au mieux. L=ambiance est grandiose: pluie, grêle, vent, éclairs et tonnerre assourdissant. Une bonne heure durant, je galope tant bien que mal dans la pente. Trois randonneurs sont nichés sous un gros rocher. Sous son capuchon, une fille me dit curieusement Ail pleut un peu@. Je souris et je passe, soûlé par les senteurs puissantes de la terre humide. Plus bas, la pluie cesse, mais les frondaisons restent chargées d=eau et il suffit de se retenir à un tronc pour recevoir une belle douche glacée. J=observe plusieurs fois des salamandres. Leur peau noire largement tachée de jaune vif est magnifique, mais l=animal lui-même est plutôt malhabile, lent et répugnant. La forêt sent très fort. Son parfum évoque la cire à cacheter fondue, la collophane et l=essence de thérébentine. Un peu étourdi par tant d=images, d=odeurs et de sensations fortes, et non sans m=être une fois de plus égaré, j=atterris enfin à Vizzavona (Vizzavone).

Et le choc est rude.

Racket. Racket épicier. Racket hôtelier. Racket à tous les étages. C=est Vizzavona, étape médiane du GR avec petits commerces, restauration et hôtellerie. Du sud ou du nord, les marcheurs affluent vers ce havre de civilisation. Après huit jours de transhumance, le géhérien y arrive bien souvent épuisé, déguenillé, affamé, et surtout en proie à la tentation de s=arrêter - après tout le plus dur aura été fait, et de gagner prestement les délices balnéaires de la côte. Aussi, pour résister à ces sirènes, le géhérien décide généralement de faire d=abord un bon repas puis de bonnes provisions, et de trouver un bon lit. Une douche chaude, des draps frais, du bon vin. Il faut se reconstituer, bon sang ! Et l=on pourra prendre dans la sérénité les décisions qui l=imposent. Tout celà fait que le géhérien qui touche Vizzavone n=est pas en position commerciale favorable face aux marchands qui offrent le nécessaire à son réconfort.

Dans l=épicerie, tenue par une poignée d=adolescents arrogants, une pimpêche ricanante de seize ans me facture 20 francs une livre de spaghetti (5 francs à Carrefour). J=y ajoute cinq mini-doses de Nutella (il faut se ré-con-for-ter !), du pain, trois pêches, un saucisson d=âne, une boîte de thon à la catalane, un fromage, des madeleines et des canistrelli (cansistrel=: gateaux secs, corses, parfumés à l=anis). Mon billet de 200 francs y passe presqu=entièrement, mais je n=ai pas le choix.

Chambre d=hôtel arrachée in extremis, machine à laver à 50 francs, désordre inoui dans la chambre. On dirait qu' un démineur vient d'y faire exploser les sacs. Nouvelle fonction des bâtons téléscopiques, que nous accrochons dans les portes pour y servir d=étendoirs. Mais aussi paix d=un apéritif au jardin, équipe au complet, moral et physique excellents, humeur joyeuse. Il est évident que nous allons continuer.

Depuis Onda, nous sommes beaucoup plus nombreux sur le chemin. Ceux qui sont partis de Calenzana le samedi, le lendemain de notre départ, nous ont maintenant rejoint car ils ont doublé l=étape d=Asco. D=autres ont pris le GR en cours de route, comme ce groupe d=étudiants, partis d=Evisa (Evise) pour rallier le troupeau à Castel di Verghio. Ceux là sont encore en pleine forme. Certains le sont moins. Des visages ont disparu depuis longtemps. D=autres se sont émaciés, cernés. Des blessés auront tout fait pour tenir le plus possible, tel Marc, ce jeune prof de math de la banlieue parisienne, éliminé par une tendinite au genou, qui n=a pu atteindre Vizzavona qu=aux pris d=heures de souffrances, à peine soulagé par les bâtons télescopiques que je lui ai prêté à Onda. Sa copine Audrey (la belle Audrey, pas vrai Paul?) ne continuera pas non plus, victime de ses chaussures toutes neuves et des ampoules subséquentes. Les Parisiens hésitaient, hier, au campement d=Onda. Madame était très pâle. Je ne les ai pas revus à Vizzavona. Ont ils pris le premier train?

Mais les plus inquiétants sont les Alsaciens. Depuis Verghio, ce couple se fatigue. Leurs visages creusés, leurs habits de plus en plus sales et défaits, leurs genouillères de travers et les casseroles qui pendouillent sur leurs sacs mal bouclés, tout témoigne d'une rapide clochardisation liée à l'épuisement. Et en montagne comme dans la vie, le malheur n'attire que le malheur. Impuissants et consternés, nous assistons à leur déchéance progressive.

Visages bouffis, coiffures sauvages, démarche boitillante, ils sont désormais très lents et achèvent toujours l'étape parmi les derniers. C'est après tout le monde qu'il se laissent porter par la pente jusqu'à Vizzavona, trempés comme des soupes après l'orage de midi. Hélas, les chambres d'hôtel sont archibondées depuis plusieurs heures et il ne leur reste plus qu'à planter la tente quelque part, par exemple dans la boue spongieuse du camping. Madame est manifestement au bord de la crise de nerf. Monsieur serre les dents. Mais personne n'a rien à leur proposer. Il est clair que la spirale de l'exclusion à déjà commencé à les emporter et qu=ils n=éviteront pas le tourbillon éliminatoire final.

 

Fin de la première partie.

 

 

Deuxième partie: Sud

 

 

 

Samedi 10 juillet

Vizzavona - E Cappanelle

9h00 - 16 ou 17 h

Changement de décor. Par un joli temps ensoleillé bien que légèrement nuageux, nous nous engageons à travers une forêt fleurie vers la Bocca di Palmenta (di Palmen=t=). Le sentier est bien tracé, bien balisé. Il est peu raide et suit de longs et bons lacets réguliers. Ravis de ce confort oublié, nous montons tous les cinq d=un bon pas, bavardant et plaisantant, malgré le temps qui se couvre rapidement. Le Momo est dans une forme épatante. Il abandonne tout self control et se complaît dans divers hennissements et grognements bestiaux qu=il nous sert à horaire réguliers, obtenant d=ailleurs la collaboration active des trois autres mâles du groupe. Evelyne, toujours impeccable, s=abstient.

Paul et moi nous retrouvons les premiers au col. Jean-Luc, Maurice et Evelyne tardent à nous rejoindre. Paul s=inquiète et appelle. Personne ne répond. Peut-être auront=ils coupé en franchissant la crête sans aller jusqu=au col. Nous descendons dix minutes jusqu=à une bergerie. Ils n=y sont pas et ne répondent toujours pas. Les nuages s=obscurcissent encore. Paul décide de monter vers la crête, tandis que je reste à la bergerie, pour le cas où ils n=auraient fait que nous suivre. Bientôt les premières gouttes de pluie tapotent dans les feuillages, en même temps que résonnent les appels de nos trois compagnons qui se rattroupent sans plus d'incident.

Tous ensemble, nous reprenons le chemin sous l=ondée. Quand tout à coup, sans prévenir, l=ondée se transforme en une saucée exhaustive. Pas une corde n=y manque, pas un seau, pas un curé ni même une hallebarde. Dire qu=il pleut comme vache qui pisse est trop faible pour rendre compte de l=abondance du phénomène. Il faut envisager un animal bien plus gros, bien plus antique, et sans doute même à un troupeau de ces animaux. En vérité, nous sommes noyés sous le jurassic park pissing rain, nous fuyons dans les flaques jusqu'à nous faufiler dans le premier abri rencontré, l=annexe-écurie des bergeries de Scarpaccedie (Scarpatchèd=). Serrés dans cette sombre cagane, debout dans le crottin, nous attendons une heure et demie, vaguement grelottants, cherchant à éviter les pissettes toujours plus nombreuses que la pluie démente force dans le toit. Il n=est bientôt plus possible de préserver les sacs de ces fuites opiniâtres. Des mares circulantes s=élargissent entre nos pieds. Il faut faire quelque chose. Piétinant dans la sombre cahute, nous confectionnons un café expéditif au camping gaz, passagèrement réconfortant mais sans effet sur les éléments. Alors le valeureux Maurice se décide et disparaît dans la bourrasque.

Il revient au bout de trois minutes, empêtré de sa cape dégoulinante et à demi aveuglé par ses lunettes embuées. Il annonce que la bergerie proprement dite est ouverte et procure une protection étanche. Alors nous chargeons nos sacs humides, ajustons nos capuches sur nos oreilles et, tout crépitants, courrons nous abriter sérieusement. La bergerie est une maçonnerie sérieuse et nous procure une bonne protection, même s=il y fait noir comme dans un cul de chaudron (où comme aurait dit mon impolitiquement correcte grand-mère, comme dans le cul d=un nègre). Emmitouflé dans ma couverture de survie, adossé au mur, je m=endors plusieurs fois, réveillé par le fait de piquer du nez. Puis, comme la pluie continue, je décide de continuer malgré tout, et repars en éclaireur.

J=arrive, toujours sous l=ondée, au refuge des Cappanelle, où le reste de la bande me rejoint une vingtaine de minutes plus tard, dans une chambre minuscule où s=entassent quelques lits a étage en ferraille blanche. Grand étalage d=effets à sécher, douche chaude, puis installation dans la grande salle commune.

Durant la première semaine, nous nous montrions tous très corrects et bien élevés. Aux terrasses ensoleillées des refuges de montagne, nous n=échangions que considérations nuancées et rires discrets. Mais la rude vie des chemins a éprouvé ce vernis et maintenant, nous ne sommes plus guère qu'une bande de gypaètes barbus (sauf J.-L. qui s=est rasé hier, et Evelyne, toujours incroyablement nette). L=art de la conversation a nettement reculé devant les saillies plus ou moins drolatiques et les cris de bêtes. L=alcoolisation augmente parmi nos compagnons. Tous ont été stoppés dans leur élan par la rabasse et, trempés comme des serpillières puis amollis par la douche chaude, ils viennent traîner, désoeuvrés, dans le réfectoire. Nous passons l=après-midi à boire, qui pastis sur pastis (votre serviteur), qui petit blanc sur petit blanc (Jean-Luc, m=indique un ami qui lui veut du bien). Lecture de vieux magazines de montagne, blagues bêtes, jeu avec le petit chat roux et blanc du refuge.

Nous lions avec un nouveau randonneur. Quoique maigre, hirsute et porteur d=une boucle d=oreille, ce sexagénaire nous charme rapidement par ses réparties extravagantes et son accent british. Il nous dit regarder avec Auespect et considéhuation@ ceux qui, faute de pouvoir s=offrir le gîte, dorment maintenant dans des tentes montées à la hâte sur le sol détrempé. Nous concluons avec lui que géhérien, parfois, rime fort bien avec galérien, et il précise:

-AAoh, nous sommes des galéhuiens uelatifs ! On m=a dit, en vous désignâant, que vous faisiez chaqu= joûa l=étape du géaa, plus un sommêet ?@.

Je lui explique qu=il n=en est rien, que nous sommes en pays latin et que ceux qui lui ont rapporté cette rumeur ont sans doute sacrifié au rite de l=exagération épique.

-AAoh je voâ, c=est la licence poètîque?@

Ce bipède cultivé est citoyen de sa gracieuse majesté et résident helvétique. Il a 65 ans, se nomme Brian R. et a déjà accompli un quantité incroyable d=exploits sportifs. A pied, à ski, à vélo, il a parcouru les Alpes, les Pyrénées, la Corse et d=autres contrées que je n=ai pas notées. Cet hiver, il a gravi le Dolent (2200 m de dénivelée) en huit heures.

- AJe fay souvent ce genre de peccadilles@ précise-t=il.

Nous l=invitons à dîner à notre table. Devant une solide polenta à la châtaigne, il nous raconte ses exploits et je ne peux pas ne pas retranscrire le récit de sa tentative au Cervin:

- AC=était en 1962. Avec un copaîn, lui aussi jeune mahuié, nous sommes venus de Guhande Buhetagne en voitue. C=était une Mohuis décapotable. Nous étions tous les deux tuès foa guhimpeua, mais totalement néophytes pour les cuampons. Nous avons du empuhunter les piolays. La coûasse a étay tuès pénible. Nous n=ahuétions pas de nous faia engueuler en allemand par des guides, poûa qu=on déplâce nos côades. On en avait vuaiment maâ. A la fin, nous avons tuhouvé un guide qui pahulait anglay et on lui a demandé AA combien le sommet@ ? Il a dit AVous y êtes, dix minutes@. Aloa on s=est uegâdé avec mon copain et on a dit: AOn uedescend@.

Brian devient notre sixième compagnon.

 

 

 

Dimanche 11 juillet

E Cappanelle (1586m)-Monte Renoso (2352 m) 7h45-9h50

Renoso-Pozzi (1783 m) 10h00-12h00

Pozzi-Verde (1289m) 13h15-14h50

5 heures 40 de marche

Beau temps frais, ce matin, pour monter seul au Renoso. Mes compagnons ont préféré suivre le tracé normal du GR. Le choix est sans doute sage. Maurice doit économiser ses genoux qui protestent régulièrement depuis les premiers jours. Jean-Luc est attentif à ne pas dégoûter Paul et Evelyne par des efforts trop intenses pour des néo-randonneurs, bien que leurs forces paraîssent loin d'être épuisées. Ce qui compte pour Jeannot c=est d=arriver au bout avec ceux qu=il a entraînés dans l=aventure. Il a l=EVGM (Esprit du Vrai Guide de Montagne, voir plus haut): AD=Abord Ramener le Client@. Jean-Luc à raison, mais je regrette qu'ils se privent de la magnifique vue promise au sommet du Renoso, et ils vont manquer le paysage étonnant des Pozzi (Podz=).

Cairns jusqu=au lac de Bastani, rien ensuite. Pentes d=herbe raides, crapahut dans les barres, plateau lunaire, sommet de blocs avec vue sur les deux côtes de l=île, comme au Monte d=Oro. Plaisir un peu gâché toutefois par une escouade de Suisses-Allemands gutturaux, mais grande et belle solitude de la montagne ensuite, sur le vaste plateau de caillasse qui précède la descente sur les pozzines. Dominées de 500 mètres, les trois cuvettes se succèdent vers le bas du vallon. Trois constellation de miroirs enchâssés dans un velours vert vif, où la découpe des lacs, en arabesques, est beaucoup plus savante qu=à Nino. Ayant de nouveau perdu le sentier, j=y descends avec difficulté parmi les pierres, les vernes et le lit capricieux d=un ruisseau.

En bas, un cheval et des vaches paissent avec application au bord de l'eau. Tout serait paradisaque s'il n'y avait aussi ces mugissements terrifiants que l=écho amplifie et qui résonnent dans le cirque. Ce sont deux taureaux qui hurlent. Ils lancent d=abord un grand meuglement aigu, puis émettent un long chant de basse en grattant du sabot et en retournant le sol sableux à coups de corne. Leurs flancs se dilatent lentement puis sont contractés d=un spasme violent au moment du cri. Et il recommencent, à tour de rôle, infiniment. Saisi par la brutalité de ce concert taurin, je reste prudemment en surplomb, inquiet et curieux d=un éventuel combat. Les vaches, elles, s=en foutent et ne regardent même pas. Apparemment habituées à voir leurs mecs brailler, elles broutent sans perdre de temps. Et moi, lassé d'attendre, je les imite et mange ma conserve de seiche sauce piquante au soleil, avant de plier bagage, privé du spectacle, mais fortement impressionné par ces chants sauvages.

Descente vers Gialgone: bergerie et pastis, bandes de porcs gris, descente fulgurante par les raccourcis dans l=humus d=aiguilles de pins (technique des bâtons en avant, buste dans la pente et poids du corps sur les quatre membres), fraîcheur du ruisseau Marmano, puis joli sentier en sous bois, souvent recouvert par de petits affluents scintillants, nourris des pluies de la veille et sans doute égarés de n=avoir pas coulé depuis longtemps. Pour finir, bonne piste carrossable jusqu=à la route et au refuge privé de Verde (boissons, restauration, boîte aux lettres).

Au refuge, retrouvailles attendues avec le groupe qui est installé depuis longtemps. Une bande d=étudiants s=époumone assez joliment, assis sur les marches de bois d=une annexe. Un quinquagénaire barbu y a mêlé sa voix forte, juste, mais il chante avec l=orgueil et la préciosité d=un maître de chorale associative. Je reconnais leur petit livret (A A VOS GUITARES, Livret réalisé et diffusé par un groupe d=animateurs au service des jeunes fréquentant les aumôneries de Lycée ou les divers mouvements paroissiaux. Pour tous renseignements, s=adresser à : M. l=Abbé R. Sablayrolles - Massaguel - 81110 Dourgne Tél. : 63 50 32 40@).

Montage des tentes sur les zones les moins pentues encore disponibles. Reste à tuer la fin de l=après-midi, traînant de la tente surchauffée et encombrée à la terrasse du bar, en passant par deux bancs de bois instables flanqués d=une table en rondins de guingois, écrasée de soleil, et quasiment recouverte de vêtements mis à sécher. L=un somnole sur le banc, l=autre relit pour la vingtième fois le topo, le troisième soigne ses ampoules. On fait la lessive, on bavarde, on attend son tour à la douche, qui pour une fois est chaude. Certains semblent ne faire strictement rien d=autre que d=écouter le bourdonnement des insectes dans les herbes. Mais un souci m=écarte de cette quiétude générale.

Depuis plusieurs jours déjà, je suis gêné par une tache noire, une sorte de grosse mouche, que je ne parviens pas à chasser de mon champ de vision. Elle y apparaît dès que j=ôte mes lunettes de soleil, comme un insecte velu agrippé à ma lèvre. Essayez de regarder votre lèvre supérieure droite avec votre oeil droit, sans miroir, c=est possible, même si on ne voit pas très bien. Une vérification manuelle me confirme l=absence de tout corps étranger, de même que mon miroir d=aventure (un compact disc: très léger, peu fragile). Mais mon oeil, lui, persiste à m=informer de l=opiniâtreté repoussante de l=intrus. Bien sûr, ce questionnement, non méthodique, n=a aucune rigueur expérimentale. Je me demandais ce que c=était que cette mouche noire, juste en passant, comme ça, en faisant d=autre choses importantes comme boucler mon sac à dos, démonter ma tente, laver mes chaussettes, couper mon saucisson, regarder la carte avec Jean-Luc, boire une Petra avec Paul, rouler une cigarette avec Maurice, etc... Et puis j=ai fini par comprendre qu=il s=agissait de ma moustache, qui, comme ma barbe, depuis douze jours, avait poussé en toute liberté. Au fil des sentiers, mes joues de bébés se sont devenues papier de verre, puis paillasson, puis brosse à chaussures. Que faire?

Nous avions fait le serment, sauf Evelyne, de ne pas toucher un rasoir avant de rallier Conca. Jean-Luc, ce félon, a bien sûr trahi dès Vizzavona. Mais les autres ont tenu. Maurice ressemble chaque jours d=avantage à un vilain du moyen-âge, trogne bonnasse mais oeil malicieux de celui qui cache un lièvre braconné dans la besace. Paul s=enorgueillit d=une barbe étonnamment fournie, mais régulière, de guerrier grec antique. Quant à moi, j'aperçois dans le miroir le visage hirsute et gonflé d'Alain Bombard à l=arrivée de sa traversée solitaire de l=Atlantique, sur radeau pneumatique et sans vivres, ce qui somme toute, n=est pas très bon pour le moral.

C=est pourquoi je mets de l=eau à chauffer sur le réchaud. Je coince le miroir-CD entre deux planches disjointes de la table, puis j= extrais le rasoir jetable Carrefour en plastique bleu (léger, bon marché, efficace) du sac à congélation Ziploc qui me sert de trousse de toilette (même commentaire). Avec mes doigts, je fais mousser dans les poils mon fragment de savon de Marseille et je peux, après les tiraillements douloureux de la première coupe, faire glisser la double lame sur une joue lisse comme une fesse et véritablement joyeuse de revoir le soleil.

Ainsi débarrassé de ma sauvagerie, je me mêle aux bavardages. Désormais, nos conversations se tournent volontiers vers les sentiers qui sont derrière nous. Nous essayons de réciter dans l=ordre les étapes depuis le premier jours. Nous y arrivons mal. Tant de temps semble avoir passé. Sans son livre de bord, un navigateur peut-il se rappeler les journées écoulées en mer? Nous évoquons les souvenirs anciens: Carruzu, la Solitude, Capitellu, l=orage sous le col de Palmente... Nous tentons de compter les disparus: l=homme au catogan, le couple de Parisiens, les deux enseignants alsaciens, les volleyeurs tarbais ... Nous sommes maintenant des survivants.

Nous parlons aussi d=Usciolù (Ouchiol), d=Asinau (Azinâo), de Paliri (Palire), et de Conca (con=kh). Ce sont les quatre derniers refuges. Il reste quatre étapes avant de finir. La victoire semble à portée de main et nous nous réjouissons. Il y aura du plaisir à toucher terre après des milles et des milles à naviguer ainsi loin des villes, progressant, de jour en jour, mais si peu,vers un but encore si lointain. Nous sommes impatients de bonne chère, de bon vin, de maisons confortables et de lits aux draps propres.

Mais un léger voile semble troubler notre enthousiasme. Je sens déjà en chacun de nous un regret des torrents bondissants et du vent parcourant les pins. Nous sentons approcher l=affairement crasseux des sédentaires, les odeurs d'ascenseurs, les bruit de voitures, le rythme mécanique des journées urbaines. Et, plus secrètement, nous savons devoir oublier bientôt notre temps lent de nomades, souple, régulier comme la houle, qui de vague en vague, nous portait infiniment vers un horizon hors d'atteinte.

Cette nuit, les gorets sont venus. Ils ont renversé la poubelle au milieu des tentes et ont dévoré nos détritus. Mais je dormais bien et je n=ai rien entendu.

 

 

 

Lundi 12 juillet

Verdi (1289 m) 5 h 15

Usciolù (1750 m) 12 h 00

 

Nous sommes partis tôt, peu après cinq heures, à la lueur des lampes frontales. Nous attaquons une étape de dénivelée et de distance. 550 m de montée au col d=Or (1840 m), puis 220 pour atteindre la Punta Capella (2041 m), d=où nous descendrons au col de Laparo pour grimper encore de 425 m jusqu=à la bocca di a Furmicola (1950 m). De là, nous devrions apercevoir le refuge, 200 m sous nos pieds. Le topo estime le temps de marche à plus de sept heures sans compter les pauses.

Nous marchons dans la nuit, puis dans le jour naissant. A la bocca d=Oru, le col d=or, fantastique soleil à peine levé des brumes de la mer orientale. Au large, la silhouette de l=île d=Elbe se découpe dans les reflets dorés du mare nostrum et derrière, loin en bas, vers 1000 m, s=étale la mer de nuages. C=est beau comme du hublot d=un avion de ligne. Nous continuons. Jusqu=au sommet final, c=est un somptueux chemin de sommets et de crêtes, avec à notre gauche l=immensité maritime, et à notre droite une Corse sauvage de maquis et de villages perchés. Nous savourons cette vue car le GR 20 s=approche rarement des lieux habités.

Nous marchons tous bien. Personne ne se fatigue et nous doublons d=autres géhériens, solitaires ou en groupe, ce qui est excellent pour le moral. Parfois, par jeu, nous courons, sans plus sentir nos sacs à dos.

Le refuge est blotti sur une pente raide d=herbages et de rochers. Il y a quelque chevaux. L=un a été lentement apprivoisé par le gardien. L=autre attaché à une centaine de mètre, est encore sauvage. Le gardien nous explique qu=il lui apporte à manger tous les jours, à la même heure. Si le cheval ne vient pas, il remporte la nourriture et l=animal reste affamé. Mais il n=est pas possible de faire autrement car s=il laisse la nourriture, le cheval pensera qu=il est le maître et ne sera jamais dompté. Nous bavardons assis sur un rocher. Le vent des crêtes pousse des bancs de brumes qui masquent et dévoilent tout à tour les silhouettes malhabiles de ceux qui descendent lentement vers le refuge.

J=écris la pipe au bec, sur la terrasse, attablé face aux montagnes de demain, toutes rosées par le couchant. A mes pieds, un grand chien noir est étendu sur le flanc, dans la poussière. Il dort.

 

 

Mardi 13 juillet

Usciolu 5 heures 25

Asinau 11 heures 35

Avant-avant dernier jour. D=abord un sentier de crêtes en dents de scie, puis descente dans un étrange paysage valloné, boisé, où le bon chemin se déroule sous des hêtres contorsionnés et boursoufflés de loupe. C=est Brocéliande. Nous nous amusons à courir en portant deux sacs, soit près de 30 kilos, et poussons divers cris de bêtes. Puis se succèdent clairières verdoyantes, ruisseaux charmants, pozzine limpides, chevaux en liberté et cochons sauvages. Après le refuge détruit des Pedinieddi, le GR s=élève vers l=arrête du mont Incudine ou Alcudine, dont Jean-Luc et moi gagnons la croix sommitale au terme d=une montée éclair.

Tandis que j'entame une sieste, Jean-Luc paraît succomber à une crise de mysticisme et s=adosse à la croix en écartant les bras, crucifié dans le vent. Il a heureusement cessé quand nos compagnons nous rejoignent, bientôt suivis d=une colonie de vacance. Les jeunes, surtout des filles de quatorze ou quinze ans, sont intéressés par quelques explications sur le GR et s=approchent de nous, posant mille questions.

Allongé et somnolent que j=étais sur la dalle de pierre chaude, j=entends s=approcher leur babil rieur. Ouvrant un oeil à tout hasard, je me retrouve prisonnier d=une forêt mouvante de gracieuses gambettes, dont la tendresse et la carnation halée ne me laissent pas trop indifférent. Après tant de jours de marche, le géhérien est affamé. Ensorcelé par des pensées impures, je sens bien que c=est le Malin qui me tourmente. Alors je détourne rapidement mes yeux en direction de la croix. Elle est toujours là, à découper le ciel bleu de sa solide orthogonalité, et en quelques secondes de contemplation, le démon accepte de reculer, puis de disparaître. Aucun de mes compagnons ne semble s=être aperçu de quoi que ce soit.

Délivré du mal, je me remets sur mes pieds et, passant de Lolita au Petit Nicolas, je vais faire essayer mon sac à dos à une bande de gamins rigolards. Ils feignent d=être surpris par son faible poids et me disent AEh M=sieur, c=est un sac de gonzesse@.

La descente sur Asinau est brutale. Tous souffrent des genoux. Le refuge est bondé (une colonie de trente personnes pour vingt lits) et tout le monde est contraint au bivouac. L=arrivage de nouveaux randonneurs est incessant et le gardien renonce à empêcher l=installation de tentes sur l=aire d=atterrissage de l=hélicoptère. Le mois de juillet est maintenant bien entamé et nous sommes loin de la tranquillité des premiers jours. Nous parvenons cependant à ne pas trop éparpiller nos tentes. Quant à Brian, qui n=en a pas, il s=est attribué une sorte de chambre-cuisine-salon délimitée par son sac, son tapis de sol, ses chaussettes et quelques éléments de nourriture. Il nous y reçoit courtoisement, Maurice et moi, et nous devisons à bâtons rompus: commentaires sur l=éclipse solaire, désagrément des réveillons que nous n=aimons pas car ce sont des fêtes forcées, plaisir d=acheter du matériel (AAh oui, j=adôa achetay du matos@), le tout conclu par une étude comparative des différentes marques de chaussures et l=éloge consensuel des semelles Vibram.

Que n=avais je fait ce choix avant de partir ! Je ne voulais pas prendre mes chaussures d=alpinisme, lourdes et rigides. Je ne voulais pas nom plus me risquer sur ce GR en chaussures de jogging, bien qu=il n=eût pas été déplaisant de braver les sempiternelles recommandations relatives à la tenue de la cheville. Je m=étais donc rendu à Décathlon où j=avais exposé que je partais faire le GR 20 et qu=il me fallait les souliers adéquats. On m=avait conseillé une paire de Technica AJump@, légères, bien crantées et de plaisant aspect, qui me paraissaient valoir les 699, F demandés.

Hélas, on m=avait trompé. Dès les premiers jours, le relief de la pointe et du talon a été arraché. Au bout d=une semaine, les côtés étaient lacérés. Quant à l=adhérence, elle s=est montrée bien faible sur sol sec, et désastreuse sur sol mouillé. Un autre géhérien qui avait fait le même choix, au Décathlon de Clermont-Ferrand, en est tout à fait déçu lui aussi. Je me promets donc d=aller dès mon retour trouver mon vendeur, afin de le prier respectueusement de bien vouloir envisager l=opportunité de me rembourser sans délai ce matériel qu=il avait cru devoir me proposer. C=est d=ailleurs ce qui se passera, non sans moult palabres et salamalèques.

Le dîner est fort agréable. J=ai au menu des pâtes au fromage corse et au saucisson d=âne bien meilleur que le lyophilisé Décathlon de midi. Nous sommes assis en cercle dans la chambre de Brian, dont j=ai déjà dit qu=elle était peu matérialisée dans l=espace. C=est pourquoi, de temps en temps, des femmes transies par une douche glacée traversent notre tablée en s=excusant. Le vin acheté au refuge est manifestement, lui aussi, mouillé d=eau. Nous nous en consolons avec un dessert sympathique. Evelyne distribue des canistrelli, j=offre le thé et Jean-Luc ouvre une tablette de chocolat. Douce soirée qui s=écoule ainsi, tandis que le soleil déclinant empourpre les aiguilles de Bavella. Il nous reste deux jours de marche avant Conca, et il serait possible de doubler l=étape pour finir demain, au prix d=un dizaine d=heures de marche. Personne n=est séduit et l=idée est unanimement rejetée.

Nous nous retirons les uns après les autres. Allongé sur le ventre sous ma toile, j=écris. Le gardien vient de passer prendre ses 20 F. Le vent se lève, froid, alors que les nuages, au dessus de la vallée, sont encore illuminés. J=ai une pensée pour ceux qui n=ont pas de tente. La nuit va leur être longue.

 

 

 

Mercredi 14 juillet

Asinau - Bavella - Paliri

Effectivement, la nuit a été dure pour ceux qui n=avaient pas de tente. Le groupe des étudiants, dont certains semblaient bien affaiblis, a essayé de dormir à la belle étoile. Mais le vent s=est levé et leur jetait des poignées de poussière au visage. Alors ils sont allés s=entasser dans le refuge, et je n=ai pas encore compris comment ils y étaient parvenus, sauf à admettre la superposition de plusieurs couches de dormeurs. Paul et Evelyne étaient à peine mieux lotis. Ce matin, ils nous racontent qu'ils ont passé une partie de la nuit à quatre pattes, essayant de maintenir contre terre le tapis de sol de leur tente dôme que la bourrasque tentait d'emporter. Ils n'avaient ni piquets ni sardines.

Errare humanum est, me répété-je in petto en cravachant pour les rejoindre, car ils sont tous quitté le refuge, sans moi, peu après 5 heures 15. Vite rasséréné, j'attaque avec eux, à 6 heures 15 et de bonne humeur, la Variante Alpine des Aiguilles de Bavella.

La montée dans les pins est sévère, mais nous conduit vers une récompense fastueuse. Entre les flammes de pierre déchiquetée, un vent violent catapulte les nuages qui se déchirent en dentelle tourbillonnante. Noires dans le contre jour, les aiguilles découpent des volutes virevoltantes qui se recomposent et se démantèlent à toute allure à travers les faisceaux horizontaux du soleil rasant. Fouettés au visage et aux membres, nous marchons en souriant dans ce cataclysme de lumière.

Plus bas, la descente vers le village de Bavella nous offre l=occasion de montrer nos qualités de grimpeurs dans une très haute fissure à droite du chemin. Puis nous gagnons le village où nous nous attablons sérieusement, qui devant une omelette, qui devant une assiette de saucisse et frites accompagnée d=une bonne bière. Il est alors un peu plus de neuf heures du matin.

APerseverare diabolicum?@, m=interrogé-je une heure plus tard en quittant les chiottes du restaurant. Ils semblent tous partis. Après de brèves recherches dans le village, je dois me rendre à l=évidence, ils ont repris la route sans moi. La colère me gagne mais je me tais. J=essaye juste de faire comprendre mon ire à Jean-Luc en le dépassant rageusement entre Bavella et Paliri. Après tout c'est lui le chef et donc le responsable du crime de lèse-géhérien dont je suis victime. Mais il semble ne rien voir. L=occasion me montre en tout cas que la colère est un dopant sportif super puissant. Je survole cette étape en 58 minutes, alors qu=elle comprend 400 m de dénivelée positive, 150 de dénivelée négative, et qu=elle est donnée en deux heures par le topo. Calmé par cet effort, je réserve nos places en dortoir, en étalant largement mes propres affaires sur six couchettes libres. Puis la journée s'étire paresseusement jusqu'au soir, et lorsque j'éteins ma frontale, j'ai griffonné quelques pages de plus dans mon précieux calepin:

"Sieste de deux heures. Au sortir de la sieste, très dépité de voir que Jean-Luc est allé faire le Tafunatu sans moi, puis conversation avec Brian qui me raconte qu=il joue du violon depuis vingt ans, qu=il a eu un quatuor (deux violons, violoncelle, piano), qu=ils jouaient des sonates de Corelli, que la quatuor a fini par se disloquer, qu=il en a eu une petite dépression nerveuse dont il ne s=est tiré qu=en refermant sa boîte à violon pendant trois ans et en filant l=adultère avec un accordéon, revendu à l=issue, après les retrouvailles avec l=instrument légitime. Crise de nerf de Geneviève (femme de cinquante ans, grande, blonde et chic, mais décharnée, folle, délirante. Serait allée au Rwanda, sa jeep a sauté sur une mine, elle a été sérieusement blessée) elle pleure dans le dortoir, détruite par le GR. Chahut monstre des étudiants dans la cuisine juste à côté. Corvée d=eau à la source. La queue à la douche, dernier lieu ou l=on cause, de tout ,de rien, sur le rythme de l=entrée du candidat suivant dans la cabane, des considérations enthousiastes sur la faible température de l=eau, la meilleure façon de s=y soumettre, la douche du refuge précédent qui était plus froide ou plus tiède, çà dépend si tu as l=eau du tuyau réchauffée par le soleil etc... Dîner morne égayé par une expérience de roussissage, à la flamme de briquet, du croupion d=un insecte rampant (une punaise des bois, risque Paul) et l=étude des effets sur les capacités d=accélération du pauvre animal. Seul Brian paraît satisfait. Il vient de tenter, et de réussir, sa première purée Mousseline. Il la goûte et conclut: AAoh, je suis un co=adon bleu en devenîe!@

 

Jeudi 15 juillet

Paliri - Conca

7 h 10 - 11 h 30

 

"Eh!"

"EH!, le p=tit gros avec un bonnet!"

Je ne me sens pas concerné, mais c=est pour moi. Maurice me hèle car les étudiants me demandent à la cuisine. La veille, je les avais complimentés, de façon non désintéressée je dois le reconnaître, sur le parfum répandu par l=énorme casserole collective où ils chauffent leur chocolat du matin. Aujourd=hui, c=est Bérangère la cuisinière, et elle m=en a réservé un bol fumant. J=entre, je salue, je bois, observé par une dizaine de paire d=yeux goguenards, et je remercie. Au moment de reposer le bol se déchaîne la tempête. Roulement des coups de poings sur la table, Ala bise, la bise, la bise@, tous ces regards brillants autour de la pièce, Ala bise, la bise, la bise@, les yeux d=épagneul de la jeune fille, Ala bise, la bise, la bise@, ses joues molles et acnéiques, Ala bise, la bise, la bise@, le rouge, la chaleur qui me montent au visage, elle aussi, Ala bise, la bise@, je m=approche d=elle, le vacarme redouble et ... ooooOOOH! smack smack AAAAAAaah! Decrescendo. Finale. Tout ému de fraternité juvénile, je prends congé, me retire, puis, sac bâté et bâtons empoignés, je rejoins les miens.

C=est la dernière journée qui commence ainsi; le chemin nous conduira aujourd=hui à Conca, terme de notre périple.

Maurice est d=excellente humeur, et même facétieux. Visiblement marqué par les récits de coureurs de fonds qui parcourent le GR en trois ou quatre dizaines d=heures, il se prend à nous dépasser en courant, agitant comme un perdu le bout de robe sale de sa femme qui lui sert d=oriflamme: AFaites place, crie-t=il, faites place, je viens de Calenzana, je viens de Calenzana ...@ Très en forme, il improvise ensuite une remise du Prix d=élégance du GR. Le trophée est un ruban de papier-cul qu=il noue délicatement autour du cou d=Evelyne.

Nous descendons sans nous presser, prenant le temps d=admirer les dernières montagnes, de humer la dernière touffe de menthe, cherchant où se baigner une dernière fois dans le torrent. C=est chose faite. Brian dans la dernière piscine naturelle du parcours, s=ébroue déjà en faisant jaillir de l=eau ses espadrilles de toile bleue. AOn le méouite, on le méouite@, clame-t=il après que j=aie laissé entendre que les deux randonneuses blondes qui viennent de se rhabiller et entament seulement leur GR, ne méritaient sans doute pas encore, elles, la douceur de cette baignade ensoleillée.

Naturellement, ces deux Suédoises me plaisent car la bise de Bérangère ne m=a pas rassasié (toute jeune femme rencontrée en vacance loin de chez soi, si elle est appétissante et blonde et si elle n=a pas encore ouvert la bouche, est a priori une Suédoise). Paul trouve que je ne suis pas difficile. Le spectacle de leurs minois avenant et de leurs cuisses couleur caramel me plonge dans le doute: N=y aurait-il pas là une dernière opportunité? Dois-je repartir derrière-elles vers le Nord, dans l=espoir de quelque commerce luxurieux, ou dois-je continuer avec mes compagnons, comme l=exige le devoir ? Brian me prive heureusement du temps nécessaire pour résoudre ce dilemme: il me prie de bien vouloir le photographier dans l=eau avec le groupe, ce que j=accepte, tout compte fait soulagé de cette diversion. Après tout, j=ai déjà eu la bise de Bérangère ce matin.

Plus tard, je chemine avec Maurice. Deux jeunes, dont le cadre de chez IGN qui me surnomme "le fou du GR", nous dépassent dans la côte. Nous les laissons aller, sans faire de commentaires. Mais dix minutes après, les voilà sac à terre, trempés, disloqués, qui tètent frénétiquement leurs gourdes. Nous les rattrapons du même pas régulier et passons devant eux en silence. Au lacet suivant, je dis à Maurice A je sais que tu penses la même chose que moi@. Il ne répond pas, mais se retourne à demi, l=oeil pétillant, et continue à marcher.

Descente finale. Débauche de fleurs, de couleurs et de parfums dans les premiers jardins de Conca. Pelouses, piscines, chaises longues disposées à l=ombre. Puis vieilles maisons accolées, odeurs anciennes des intérieurs sombres et frais. Belle tête de lion sculptée dans la pierre d'un mur de soutainement. Après quelques errements, nous nous regroupons à la terrasse d=un café, un peu étourdis par le luxe des choses civilisées. Le Marseillais, qui est équipé d=un altimètre, annonce 12.885 mètres de dénivelée positive depuis Calenzana (par Ortu di u Piobbu, mais sans Cinto, ni Renoso, ni Monte D=Oro). La sono diffuse un paso doble joyeux et entraînant. La serveuse est jolie, façon Marlène Dietrich souriante, et je vois que sa gentillesse ne laisse personne indifférent. A part Evelyne et peut-être Jean-Luc, mais ce n'est pas sûr, tous ont quelque chose de vague dans le regard quand elle vient gaiement s=occuper de notre table.

Repus, nous commandons un mini-bus et gagnons Portovecchio (prononcer Portovek). Maurice et Brian vont reprendre l=avion, l=un vers Lyon, l=autre vers Zürich. Paul et Evelyne restent quelques jours. Jean-Luc et moi parvenons in extremis à réserver une cabine sur le ferry Monte d'Oro, qui appareille à 17 heures 30 pour Marseille. Là bas, métro pour la gare Saint-Charles, train pour Chalon, puis autoroute jusqu=à Dijon.

Quelques jours plus tard, alors que la balance vient de me gratifier de deux kilos en moins, je reçois une lettre de Brian.

Cher Jean-François,

Après vous avoir quittés, j=ai trouvé une chambre d=hôtel délectable et pas trop chère et j=ai pris un plaisir immense d=éparpiller tout le contenu de mon sac dans tous les coins, en attendant le rebouclement le lendemain matin. Puis j=ai passé au moins trois heures sous la douche, j=ai mis des habits pas trop dégueulasses, et je me suis parqué avec un pastis sous un parasol pour regarder déambuler les troupes de jolies filles en vacance. J=ai surpris Paul en train de faire le même genre de chose, et nous avons réuni nos forces pendant un moment, avant de souper très agréablement ensemble. Porto Vecchio: pas mal comme fin de GR.

Le vendredi après-midi me voilà -encore avec Paul- dans le car qui montait la côte E pour correspondre avec le train Bastia-Calvi. Correspondance qui jouait tout juste, ledit car ayant subi une panne en route pendant une heure et demie. Je suis descendu du train peu avant Calvi et j=ai dormi sur la plage - merveilleux. Le samedi mon avion partait de Calvi aux environs de 20:00, ce qui me donnait toute la journée libre. Baignade, exploration de Calvi et son citadel, re-observation des jolies filles und so weiter - une journée vraiment superbe. Arrivé à Zürich j=ai constaté que le dernier train pour Lausanne était parti quelques minutes auparavant, donc j=en ai pris un autre qui s=arrêtait dans un tout petit bled en Suisse alémanique, où je me suis endormi à minuit dans un champ. Eveillé à l=aurore par le chant des oiseaux, j=ai terminé le voyage en train(s) et bus pour arriver finalement à 10 heures le dimanche matin.

Mais assez de mes pérégrinations. Je t=envoie comme promis la docu sur la Alta Via du Val d=Aoste. Tu verras que cette haute route se divise en deux parties...

A suivre.

 

Dijon le 7 juin 2000.